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Tout ce qu’on peut dire contre l’improvisation s’adresse donc en partie aux institutions et aux mœurs, et ne préjuge rien contre l’existence et la qualité du talent. La tribune et la presse politique peuvent donner une richesse intellectuelle qui ne compte pas ; mais ce n’en est pas moins une richesse intellectuelle. Enfin, de la harangue et du pamphlet si nous passions à la poésie, à la critique, à la philosophie, à l’histoire, nous dresserions aisément à notre siècle un brillant inventaire, en ayant soin de ne pas faire, comme tant d’autres, abstraction des défauts pour les livres du passé, abstraction des beautés pour les ouvrages contemporains.

Ce n’est donc pas l’art qui me paraît en déclin, ce n’est point par la forme que la littérature périclite ; mais le fond m’inquiète, et l’esprit qui peu à peu s’introduit dans le monde littéraire ne me rassure pas. Ici, il est vrai, il faudrait s’en prendre moins aux auteurs qu’à ceux qui les jugent et accuser d’abord le public.

On peut remarquer que les gens qui traitent le plus sévèrement nos écrivains sont de ceux qui donnent au talent et à l’intelligence le moins de place dans les choses humaines. La critique dénigrante se rencontre surtout chez qui ne fait nul cas des livres. C’est depuis qu’on s’est épris de la matière qu’on est le plus exigeant pour l’esprit. On commence par le trouver inutile, puis on nie qu’il existe. Les utilitaires qui nous font aujourd’hui la loi sont parfaitement convaincus qu’il ne se pense ni ne s’écrit rien qui vaille la peine qu’on y regarde. S’ils trouvaient le manuscrit dont parle La Fontaine, ils préféreraient bien le moindre ducaton, mais je ne sais s’ils accorderaient que le manuscrit fût bon. Voilà les gens qui ont forcé les faiseurs de manuscrits à leur prouver qu’on en pouvait tirer des ducats.

Si donc la littérature est loin d’être irréprochable, c’est qu’elle a trop suivi le courant. A quelques années d’une révolution, à la suite de ce premier déchaînement d’idées et de passions qui ne pouvait rien produire de bon ni de vrai, et dont le résultat naturel devait être une période d’humiliation pour la raison humaine, une réaction vient d’éclater, enfantée par la peur et le dégoût, réaction de défiance, d’incrédulité, d’aversion pour tout ce qui peut à la fois ennoblir et égarer l’humanité. La société a jugé à propos d’opposer ses intérêts à ses idées ; elle a mis en suspicion tous les principes de croyance et d’action qui l’avaient animée et recommandée à l’histoire. Elle a forcé ceux-là mêmes qui ont l’ambition de la gouverner à dissimuler leur grandeur native pour se faire bien venir d’elle, à épouser non-seulement la cause des biens matériels, mais celle des sentimens vulgaires, à s’abaisser pour régner, Cette déroute d’une société intimidée, qui fuit devant le fantôme de l’esprit humain pour se retrancher derrière ses intérêts, qui même essaie de relever comme une redoute supplémentaire les préjugés détruits,