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d’une même créance, purifier séparément et fondre ensemble les divers métaux qui composeraient cet airain de Corinthe dont nous avons à notre tour essayé de former la statue de la Vérité.

Mes amis, mes contemporains, moi-même, nous fûmes les disciples de toutes ces écoles. On pourrait raconter comment il est advenu à chacun de nous de recevoir successivement l’inspiration commune, comment, partis de points différens, nous sommes arrivés au même rendez-vous. Ce serait un récit de quelque intérêt, et, comme on dit aujourd’hui, un roman psychologique, que de représenter un jeune homme

Ne pensant point encor, mais cherchant à penser,


qui se sentirait tout d’abord ; et uniquement pour avoir respiré l’air de son temps, envahi par les idées de ce coin du monde où les traditions nouvelles s’étaient fidèlement conservées, par exemple, de cette société d’Auteuil, le Port-Royal de la philosophie du XVIIIe siècle. Puis un jour viendrait où le noble esprit qui sur les bords du Léman émut lord Byron, en face des sites majestueux décrits par l’auteur d’Émile, lui apparaîtrait en quelque sorte, et par un charme puissant ferait pénétrer dans l’intelligence ces idées qui vont jusqu’au cœur et qui s’y gravent parmi les souvenirs ; car il peut y avoir dans la vie des momens qui font presque mentir le mot de Platon : ή φρόνησις όυΧ όραται. Il faudrait peindre alors quel transport s’empare de l’ame, le jour où elle découvre que nulle incompatibilité ne s’élève entre les joies de l’imagination et les exigences de la raison, entre les louables émotions et les idées exactes, alors qu’elle découvre que la lumière l’échauffe. Enfin, il faudrait montrer cet appui solide et nouveau que les recherches et les méthodes sévères de la critique appliquée à la philosophie, à l’histoire, à la politique, prêtent à l’esprit inquiet et curieux de la vérité. Du milieu des tempêtes de l’histoire et des orages des systèmes, il est beau de voir s’élever une raison calme qui semble contempler et dominer les flots. Rien ne remplace, et je dirai même rien ne rompt les fortes amitiés des intelligences qui ont été ainsi associées par la vérité. Les erreurs et les passions, tout ce qui passe, ne séparent que les personnes ; les intelligences restent unies par ce qui ne périt pas.

Cette histoire serait celle de beaucoup d’entre nous. Elle expliquerait la formation de certaines opinions, elle développerait la filiation de certains esprits. Elle ferait assister par le souvenir à cette fusion successive de sentimens et d’idées qui, vers le dernier tiers de la restauration, finit par réaliser la puissante unité de l’esprit libéral. Si c’était le lieu de citer des noms, des livres, des dates, on écrirait une histoire à la fois sérieuse et piquante, et plus elle serait vraie, moins peut-être on y voudrait croire.