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la réformation française, proscrite par le despotisme, avaient pu affaiblir chez eux le ressort du patriotisme en fortifiant celui de l’indépendance. Ceux-là possédaient moins l’art de se faire entendre de la foule, mais ils savaient ce qu’elle ignore, et leur curiosité voyageuse avait interrogé l’Europe entière. A la tendance rêveuse et pourtant philosophique, à l’originalité des aperçus, à une manière sérieuse et morale de juger les choses, à une élévation qui touchait à l’exaltation, on reconnaissait dans cette école encore française, bien que par momens genevoise, l’influence ou le souvenir de Rousseau. Si le bon sens prompt et pratique brillait d’un côté, de l’autre c’étaient la méditation et le sentiment. Au-dessus de tous les écrivains de cette nuance s’élevait le grand nom de Mme de Staël.

Enfin, au cœur de l’enseignement public, là où l’essor parfois capricieux de l’esprit est sans cesse contenu par l’étude des textes et la responsabilité du professorat, il s’était formé peu à peu, sagement, gravement, une école tout observatrice, qui, sans faire gloire d’obéir au mouvement de la révolution, quelquefois même en affichant la prétention contraire, devait avec le temps le rejoindre, et arriver par l’examen de tous les systèmes, par la critique de tous les faits, à ce qu’on pourrait appeler une édition revue des principes de l’esprit libéral. Là on faisait gloire de respecter l’expérience, de n’insulter aucune tradition ; mais on professait non moins haut la liberté absolue du jugement. Cet esprit, qui devait par degrés s’associer à l’esprit général, date certainement de M. Royer-Collard ; j’ai dit ailleurs comment il donna à la philosophie une impulsion qu’il n’eût pas voulu suivre jusqu’au bout, mais qu’il protégea toujours. Cette haute critique, M. Guizot la porta dans l’histoire avec une supériorité incomparable ; ce fut lui qui, le premier peut-être, eut une pleine conscience de ce qui manquait à l’esprit du temps, savoir : l’union d’une direction déterminée avec une étendue égale à la diversité des choses. Ce qu’il fit par l’histoire pour la politique, M. Cousin le fit pour la philosophie par l’histoire de la philosophie. Jamais avant eux la critique n’avait montré qu’elle pût être à ce point puissante et créatrice.

Serait-ce forcer les rapprochemens que de dire, en comparant ces trois écoles, que dans la première se reconnaît l’influence de Voltaire, dans la seconde celle de Rousseau, dans la troisième celle de Montesquieu ? Quoi qu’il en soit, toutes trois devaient peu à peu se confondre dans le grand mouvement libéral de la restauration, comme les affluens d’un grand fleuve, qui ne doit avoir sa force irrésistible qu’après qu’il les a tous réunis dans son cours. Ce fut l’ouvrage du temps, ce fut en quelque sorte l’apport de ces générations nouvelles qui, libres des entraves du passé, purent entendre toutes les leçons, accueillir des vérités d’origine différente, rallier dans une foi commune les variations