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pas que la France relevait un peu son front courbé par la fortune, en concevant quelque chose de meilleur encore que la gloire ?

La situation des esprits à la fin de l’empire est oubliée. Je ne sais si elle sera jamais fidèlement dépeinte. Il arrive à la mémoire de l’empereur une réaction qui lui était due, réaction de justice ou plutôt retour d’admiration qui permettrait difficilement à la vérité de se faire jour. Il le fallait ainsi ; pendant d’assez longues années, on a failli envers cette grande mémoire. Non-seulement la France l’a laissé insulter, mais elle s’est exagéré le mal mêlé au bien dans le régime impérial, peut-être pour diminuer dans ce mal sa part de responsabilité propre ; elle a mis une partie de ses torts sur le compte de son chef. Aujourd’hui, comme pour faire réparation à une gloire un instant méconnue, on lui prête un éclat plus vif et plus pur que l’éclat de la réalité. C’est le sort des grands hommes, de ceux surtout qui ont un génie original et des conceptions gigantesques ; ils s’emparent de l’esprit des peuples par l’imagination. Or, une fois que l’on a pris place dans l’imagination des hommes, c’en est fait, la gloire peut défier le temps. La succession des années, les rivalités que réserve l’avenir, la critique des historiens, ne lui font subir aucune vicissitude. Il serait aussi peu utile que peu digne de contester une renommée ainsi établie. Il faut la prendre telle qu’elle est et que l’acceptera la postérité. Il y a deux classes d’hommes supérieurs : les uns destinés à un nom seulement historique, les autres à un nom poétique. Ceux-ci, quoi qu’en puisse penser le philosophe, sont hors de toute atteinte, et, pour ainsi dire, au-dessus du jugement humain. Pour eux se reproduit, au milieu de nos sociétés mécréantes, cette transformation des héros des temps primitifs ; ils passent à ce qu’on pourrait appeler l’état fabuleux : on croit en eux, on ne les juge plus. Je doute que pour bien peu d’hommes cette apothéose par la poésie ait commencé aussi vite que pour l’empereur Napoléon.

Mais nous conservons le droit de juger la société française et ce qu’elle devint avec lui. Les dernières années de son règne avaient produit une disposition générale qui ne doit pas faire envie. Le temps de ces rapides et heureuses créations, bases de l’ordre administratif sous lequel nous vivons, était passé. Celles qui souvent encore attestaient la fécondité de cet infatigable esprit offraient quelque chose d’excessif, quelque chose d’ultra-monarchique, qui, s’il n’offensait le pays, l’étonnait sans le satisfaire, et le trouvait même incrédule et moqueur. La politique du dehors autorisait une double crainte, celle de l’excès de la victoire conduisant à l’abus de la grandeur, celle de l’inconstance inévitable d’une fortune épuisée jusque dans ses dernières complaisances. L’inquiétude de l’avenir s’alliait à une ignorance absolue de ce qui pouvait en conjurer les périls. La France attristée ne se détournait pas cependant du gouvernement pour chercher son salut en dehors de lui ; elle en était venue à