Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Point de grandes et vastes spéculations qui les débarrassent tout d’un coup, point de commerce qui intervienne dans leurs affaires et qui les soulage à l’occasion ; par conséquent aussi nulle certitude de vendre quand le besoin de réaliser se fait sentir. Réduits en général, et saut quelques rares exceptions, au seul approvisionnement du marché voisin, obligés d’y suivre pas à pas dans leurs offres le progrès lent et quelquefois irrégulier de la consommation, de vendre pour ainsi dire au jour le jour, pièce à pièce, à mesure que la denrée s’absorbe, ils ne peuvent jamais compter sur des rentrées larges et certaines, quels que soient d’ailleurs leurs besoins. Sans parler des courses inutiles, de la perte de temps, des faux frais, des embarras qu’un tel mode de procéder entraîne, qui ne voit tout le désavantage qui résulte pour les cultivateurs de cette seule difficulté des réalisations ?

Ce qui rend leur position encore plus fâcheuse, c’est que, sous un tel régime, le crédit leur fait toujours défaut. Que n’a-t-on pas dit sur la question du crédit agricole, dont on poursuit depuis tant d’années la solution ! Il est vrai qu’on la cherche ordinairement, cette solution, dans l’amélioration du régime hypothécaire, sans considérer que les emprunts hypothécaires n’ont rien de commun avec le crédit usuel[1], que ces emprunts n’ont qu’une utilité spéciale et restreinte, d’autant plus restreinte, en ce qui concerne l’agriculture, que la plupart des cultivateurs sont hors d’état d’y avoir recours, puisqu’ils ne sont pas propriétaires des terres qu’ils exploitent ; mais lors même qu’on eût considéré le crédit sous son vrai jour, en reconnaissant qu’il se compose essentiellement des achats et des ventes à terme, et qu’on l’eût placé où il doit être, dans les relations de producteur à producteur, de négociant à négociant, on n’aurait pas encore trouvé la solution du problème sous le régime présent. Jamais le crédit ne se répandra dans les campagnes que par le canal des commerçans, et jamais aussi, répétons-le, les commerçans n’interviendront, au moins d’une manière active et régulière, dans les affaires de l’agriculture, tant que la circulation des produits du sol ne sera pas libre au dehors comme au dedans.

Nous croyons en avoir dit assez pour faire comprendre l’abus des lois restrictives en ce qui touche aux produits de l’agriculture et la nécessité d’une réforme libérale. De quelle manière cette réforme sera telle

  1. Ce que nous avons dit à ce sujet il y a bientôt cinq ans (voir la Revue du 1er septembre 1842 : le Crédit et les Banques), ce que nous avons encore répété depuis à plusieurs reprises, l’administration paraît enfin l’avoir reconnu elle-même à la suite de l’enquête ouverte en 1845 devant les conseils généraux des départemens. En effet, un rapport fait sur cette enquête et présenté aux conseils généraux de l’agriculture, des manufactures et du commerce, dans leur dernière session (1845-46), dit expressément que les emprunts hypothécaires pourraient se développer jusqu’à l’abus, sans que l’agriculture en profitât, sans que la question du crédit agricole en fût plus près de sa solution.