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revenu, grossir et s’enfler sans raison ; mais dans le même temps la plaie de l’usure s’étendait peu à peu sur nos campagnes et dévorait à petit bruit le modeste avoir de l’exploitant. C’est par là que les lois restrictives, si favorables d’abord aux propriétaires du sol, mais aux propriétaires seuls, leur préparent à eux-mêmes dans la suite des mécomptes et des retours. Si l’on veut s’édifier sur tout cela, l’on n’a qu’à lire les détails de l’enquête poursuivie en 1845 devant les conseils-généraux des départemens sur la question du crédit agricole ; le tableau de la malheureuse condition de ces hommes que l’on a prétendu protéger s’y déroule dans sa triste nudité. C’est, du reste, la seule chose que l’on puisse tirer de cette enquête, d’où il ne sort d’ailleurs aucune vérité utile, parce qu’elle est demeurée d’un bout à l’autre en dehors de la question.

Le système protecteur a-t-il eu par hasard plus de succès en Angleterre à l’époque où il y était dans sa vigueur ? Avait-il réalisé là mieux qu’en France ce bien-être qu’il promet à l’homme des champs ? Les faits, des faits publics, répondront pour nous. Depuis 1815, date de l’établissement de la loi des céréales et des subsistances (corn and provisions law), la chambre des communes se vit obligée six fois de se réunir en comité spécial pour s’enquérir de la détresse agricole, et, de 1837 à 1844, cette même détresse fut proclamée cinq fois dans le discours de la couronne à l’ouverture du parlement. Qu’on ne dise donc pas que le système protecteur est favorable à la classe agricole ; le contraire est trop bien prouvé par l’expérience. Ce qui précède ne suffirait pourtant pas pour expliquer ces funestes influences ; on pourrait croire que les lois restrictives sont tout au plus insignifiantes pour les cultivateurs et ne leur font en somme ni bien ni mal, si nous ne montrions en même temps qu’elles sont nuisibles à la bonne et fructueuse exploitation du sol.

Puisque ces lois ont pour effet immédiat, ainsi qu’on l’a vu, de déterminer le renchérissement artificiel des denrées sur le marché intérieur, il est sensible qu’elles ont aussi pour conséquence prochaine et nécessaire de restreindre le débit de ces denrées sur les marchés du dehors, d’entraver ainsi ou même d’arrêter l’exportation. Qu’on veuille bien s’arrêter un instant sur cette donnée, dont la portée est incalculable. Il faut d’abord en établir nettement les termes. — Il est dans l’ordre naturel des choses, et nous l’avons dit nous-même, que, dans un pays riche et peuplé, les produits du sol se vendent communément à plus haut prix que dans les contrées relativement désertes ou pauvres. On peut dire aussi qu’en général, à mesure qu’un pays gagne en population et en richesse, il exporte une quantité proportionnellement moins forte de denrées agricoles, parce qu’il en consomme davantage, et qu’il éprouve aussi plus souvent que d’autres le besoin d’importer celles de l’étranger. C’est ainsi que, même sous l’empire du