capitales, si les autres denrées se vendaient à des prix relativement plus bas, la culture ne s’en ferait plus qu’avec perte, et le cultivateur serait forcé d’y renoncer. C’est ce qui était arrivé en Angleterre, sous l’empire du système restrictif, pour tous les articles non protégés à l’égal des autres, par exemple les lins et les chanvres. C’est ce qui serait arrivé pareillement en France pour les bois de construction, après qu’on eut réduit les droits sur cette matière en faveur de notre marine marchande, si les bois indigènes n’étaient pas déjà fortement protégés contre l’importation étrangère par la seule difficulté des transports.
Ce que nous venons de dire de la France s’applique d’ailleurs, avec autant de vérité et de force, à tous les pays qui ont suivi la même voie. On sait à quels prix exorbitans l’Angleterre était parvenue, par suite de l’énormité des droits d’importation, à élever tous les produits de son sol. Comme la législation de ce pays était en cela beaucoup plus rigoureuse que la nôtre, le renchérissement artificiel y était aussi beaucoup plus prononcé, à tel point que l’Angleterre était alors, s’il est permis de le dire, la terre classique du cher-vivre, et s’était créé en ce sens une existence à part. Nous avons montré aussi, en nous appuyant, quant aux faits et aux chiffres, sur le témoignage de M. Moll[1], que de semblables résultats ont été produits dans le Zollverein allemand par les droits établis depuis 1833 sur les bestiaux et sur le blé, quoique le renchérissement y soit moins fortement prononcé qu’en Angleterre et en France, parce que les droits à l’importation y sont plus modérés.
Tel est donc l’effet constant, irrécusable, des lois qui grèvent l’importation des denrées étrangères, qu’elles font hausser d’une manière inévitable, et dans une mesure à peu près égale au montant des droits, le prix des denrées nationales sur le marché. Quelles sont maintenant les conséquences de cet exhaussement artificiel des prix ?
En ce qui concerne les consommateurs en général, il semble qu’il n’y ait pas à hésiter. Cet exhaussement leur impose un sacrifice de tous les jours. Pour les classes ouvrières en particulier, pour les classes pauvres, qui sont, en ce qui concerne les produits agricoles, les consommateurs par excellence, puisque leurs ressources ne vont guère au-delà de ces consommations nécessaires, il entraîne un amoindrissement sensible de leur existence, amoindrissement dont on trouve la mesure assez exacte dans la surcharge même des prix. Il est vrai qu’on a imaginé à ce sujet une théorie commode, qui met à l’aise la conscience de ceux qui soutiennent ces désastreuses mesures. On nous dit que peu importe, au fond, pour les classes ouvrières, le prix plus ou moins élevé des subsistances, puisque les salaires s’élèvent ou s’abaissent dans la même proportion. Mais sur quoi se fonde cette théorie étrange ? quels sont les
- ↑ Voyez la livraison du 1er septembre 1846.