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capitale qui, bien examinée, tranche la question d’une manière souveraine et décisive : c’est qu’en France le revenu des propriétés foncières est plus considérable que dans les pays dont on parle, et que les terres y ont en conséquence une bien plus grande valeur, circonstance qui prouve, sans aller plus loin, que l’exploitation de la terre est parmi nous plus fructueuse, plus productive, plus avantageuse à tous égards.

Chose étrange ! on argue de cette cherté même des terres et de l’élévation du revenu foncier pour établir notre infériorité relative. On nous dit : Les terres sont chères dans nos contrées, les fermages y sont élevés, tandis qu’ailleurs, en Russie par exemple, et particulièrement sur les bords de la mer Noire, les terres sont à vil prix et les fermages presque nuls, d’où l’on conclut que les cultivateurs russes ont un avantage marqué sur les nôtres. On ne voit pas qu’en raisonnant ainsi on prend tout simplement l’effet pour la cause, qu’on nous donne comme un principe d’infériorité ce qui est la conséquence d’une supériorité réelle, qu’on renverse, en un mot, toutes les relations des faits. D’où vient donc cette cherté relative de nos terres, si ce n’est de ce qu’elles rapportent davantage ? Et pourquoi rapportent-elles davantage, si ce n’est parce que l’exploitation en est plus profitable et plus féconde ? Existe-t-il par hasard une cause quelconque, prise en dehors des conditions de l’exploitation, qui élève parmi nous le prix des terres et qui le rabaisse ailleurs ? Non, ce sont précisément les avantages de notre situation qui font toute la différence. On le comprendrait sans peine, si on cherchait à se rendre compte de la nature du revenu foncier, si on se demandait jamais quel en est le principe ou la source. Au lieu de cela, on le prend à tout hasard comme un fait existant, comme un effet sans cause. On paraît croire qu’il préexiste aux résultats de l’exploitation, quand il en est, au contraire, la conséquence. Il suit de la qu’on le considère souvent comme un des élémens constitutifs du prix de revient des produits du sol, tandis qu’il n’est pas autre chose que l’excédant du prix de vente sur le véritable prix de revient, lequel se compose uniquement des frais d’exploitation et du bénéfice nécessaire de l’exploitant. Comme tout ceci touche aux fondemens mêmes de notre ordre économique, et que les erreurs trop répandues sur ces matières conduisent aux plus déplorables abus, on nous permettra de rétablir en peu de mots les vrais principes.


II.

La terre n’est pas un produit créé de main d’homme. C’est un fonds donné par la nature et que nous possédons par conséquent à titre originairement gratuit. Il en résulte qu’à la différence des autres biens que nous possédons, et qui ont en général une valeur plus ou moins