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mur pour y soutenir les rameaux du pêcher ; les appentis brisés avaient un aspect triste et désert ; aucune main ne soulevait plus le loquet sonore ; l’antique chaume, usé, mêlé d’herbes parasites, couvrait mal la vieille ferme ceinte de fossés. — Le malheur est sur ma vie ! disait et répétait Mariana. — Il ne vient pas ! disait-elle. — Elle disait : Je suis lasse, bien lasse, et voudrais être morte.

« Ses pleurs tombaient avec les rosées du soir. Avant qu’elles eussent séché, ses pleurs, au matin, tombaient encore. Elle ne pouvait ni matin, ni soir, regarder le firmament serein. Après que les chauves-souris s’étaient envolées, lorsque la plus noire nuit enveloppait le ciel, elle écartait le rideau de sa fenêtre et jetait un rapide regard à travers les plaines obscures. — Quelle sombre nuit ! disait et répétait-elle. — Il ne vient pas ! disait-elle. — Elle disait : Je suis lasse, bien lasse, et voudrais être morte.

« Éveillée vers la mi-nuit, elle entendait croasser l’oiseau des ténèbres. Le coq chantait une heure avant le jour. Du noir marais arrivait à elle le long mugissement des bœufs. Sans espoir que rien pût changer, on eût dit qu’elle parcourait seule les vagues régions du sommeil jusqu’à l’heure où les vents froids éveillaient autour de la ferme isolée les grises lueurs de l’aube. — Quel sombre jour ! disait et répétait-elle. — Il ne vient pas, disait-elle. — Elle disait : Je suis lasse, bien lasse, et voudrais être morte.

« A un jet de pierre de la muraille dormait un petit étang noirâtre, et sur cet étang, par grappes de menues graines, s’étalaient les mousses d’eau. Tout auprès un peuplier se balançait, pâle feuillage, écorce noueuse ; et pas un autre arbre, à plusieurs lieues de là, ne jetait son ombre sur la plaine aride, aux horizons gris. — Le malheur est sur ma vie, disait et répétait-elle. — Il ne vient pas ! disait-elle. — Elle disait : Je suis lasse, bien lasse, et voudrais être morte.

« Et toujours, lorsque la lune était au déclin, quand la brise aiguë traversait l’air, elle voyait çà et là, sur la blancheur du rideau, passer une ombre chassée par l’orage. Mais quand la lune descendait plus bas encore, lorsque les vents vagabonds rentraient enfin dans leurs cachots, l’ombre du peuplier tombait sur son lit, et venait sillonner son front pâle : — Quelle sombre nuit ! disait et répétait-elle. — Il ne vient pas ! disait-elle. — Elle disait : Je suis lasse, bien lasse, et voudrais être morte.

« Le jour durant, dans cette maison hantée par les rêves, les portes craquaient sur leurs gonds. La mouche bleue bourdonnait contre les vitres ; la souris criait derrière les lambris à demi rongés, appliquant à leurs fentes son œil curieux. Des figures d’autrefois se laissaient entrevoir derrière les portes entr’ouvertes, des pas d’autrefois faisaient craquer les paliers, des voix d’autrefois l’appelaient au dehors. Le malheur est sur ma vie ! disait-elle toujours. — Il ne vient pas ! disait-elle. — Elle disait aussi : Je suis lasse, bien lasse, et voudrais être morte.

« Le moineau chuchotant sur le toit, les lentes oscillations du balancier et le murmure par lequel répondait le peuplier aux amoureux soupirs du vent, accablaient cette ame craintive ; mais par-dessus tout elle détestait l’heure où, chargé de brillans atomes, un rayon de soleil traversait les salles obscures, l’heure où le jour penche vers l’occident. Alors : Je suis bien triste ! disait-elle. — Il ne viendra pas ! disait-elle encore ; et, pleurant : — Je suis lasse, bien lasse. Oh ! Dieu de merci, que ne suis-je morte ! »