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Soft are the moss beds under the sea
We would live merrily, merrily.


Mais, après tout, s’il est le plus beau, le roi des mermen, la syrène n’en sera pas inconsolable, la syrène, qui déjà songe à leur hymen sous les berceaux de jaspe : -

In the branching jaspers under the sea.

Il n’est pas besoin d’insister, après ces citations, sur l’analogie d’inspiration et de manière que nous devions signaler entre les deux poètes. Nous revenons aux aperçus généraux que cette comparaison aura servi à préparer. Nous avons noté deux tendances bien distinctes : un retour marqué vers les vieux poètes du temps d’Élisabeth, une ferme confiance dans l’inspiration individuelle et une grande latitude donnée à ses caprices. Voilà, si nous ne nous abusons pas, les traits les plus généralement caractéristiques de la poésie contemporaine en Angleterre. Maintenant, — car, en pareille matière, les malentendus sont très faciles, — nous ne voudrions pas voir omettre une foule d’influences secondaires qui modifient, selon le savoir et les penchans de chacun, ces tendances générales. Celui-ci sera plus ou moins atteint par le contrecoup de nos agitations littéraires ; celui-là, plus religieux ou plus savant, imprégnera ses vers des parfums bibliques, ou se couronnera des lauriers de l’Eurotas, des roses de Poestum ; un troisième préférera l’auréole mélancolique empruntée à Novalis et aux candides rêveurs de l’Allemagne. Telle est cependant la puissance du génie national rendu à son libre essor, que, malgré les rapports des peuples entre eux, la substance poétique, résultat de cet amalgame, devient de plus en plus anglaise, de plus en plus rebelle à toute interprétation, de moins en moins transmissible et catholique, s’il est permis d’employer ce dernier mot dans son sens le plus précis.

À ce sujet, un phénomène doit être noté : c’est que, de jour en jour, la littérature de nos voisins, depuis une vingtaine d’années, se refuse davantage à la traduction. Nous parlons, — cela va sans dire, — des œuvres où le style joue un rôle essentiel. Lord Byron, Southey, Crabbe, Coleridge lui-même et Wordsworth, — ces derniers, il est vrai, par fragmens, — ont pu être traduits. Nous défions les plus habiles de faire passer dans notre langue, autrement que mutilé, transfiguré, le beau livre de M. Ruskin, le gradué d’Oxford[1], sur la peinture moderne. Nous nous sommes convaincu, en lisant une récente traduction d’Eothen, que mainte page frappante dans l’original, — citons, pour préciser, la description du sphinx, — n’avait pu se rendre que par des à-peu-près sans valeur. Et tout à l’heure, quand nous voudrons décalquer

  1. Pseudonyme adopté par M. Ruskin.