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faute si j’avais pris trop au pied de la lettre l’offre qu’on me fit de les interroger sur ce qu’ils avaient lu.

J’ai visité l’école de traduction avec l’homme distingué qui préside à cet établissement, le scheikh Rifâah. Un assez grand nombre de jeunes gens sont occupés à mettre en arabe divers ouvrages français sur les sciences, la géographie, l’histoire. Ne sachant pas l’arabe, je demandai aux jeunes Égyptiens de me traduire mot à mot et de vive voix leur traduction en français, et je comparai ce mot à mot à l’original que j’avais sous les yeux. Il m’a semblé que les deux ne s’accordaient pas toujours parfaitement, et que le sens de l’auteur disparaissait quelquefois entièrement à travers cette double transfusion du français dans l’arabe et de l’arabe dans le français. En outre, j’ai appris que les traductions une fois faites ne s’imprimaient pas. Il y a donc ici, comme dans presque toutes les institutions civilisatrices du pacha, plus d’ostentation que de réalité.

Scheikh-Rifâah est un homme aux manières douces et agréables. Il a traduit en arabe plusieurs ouvrages français, entre autres la Géométrie de Legendre, et a été chargé par Ibrahim-Pacha de composer un dictionnaire arabe sur le plan du Dictionnaire de l’Académie française. En outre, Scheikh-Rifâah, qui est venu à Paris, de retour en Égypte, a publié ses impressions de voyage. Depuis que les Orientaux visitent davantage l’Europe, on possède plusieurs ouvrages de ce genre ; ils sont curieux à lire. Il est piquant pour nous de nous voir ainsi à distance, de nous apparaître pour ainsi dire comme dans un de ces miroirs colorés qui décorent les kiosques de l’Orient. Souvent ce qui nous paraît remarquable ne frappe point les voyageurs ; ils n’en savent pas assez pour être étonnés. D’autre part, ce qui nous paraît le plus simple les ravit de surprise ou d’admiration ; quelquefois on les surprend en flagrant délit d’exagération. Heureusement pour bien des voyageurs européens, les peuples dont ils parlent ne les liront jamais ; autrement l’exactitude de leurs descriptions ne serait pas trouvée beaucoup plus grande que celle de la relation de ce voyageur chinois qui, pour donner à ses compatriotes une idée de la hauteur des maisons de Londres, dit que les habitans peuvent facilement prendre les étoiles avec la main.

Il n’en est pas ainsi du voyage de Scheikh-Rifâah ; l’esprit général de son livre fait honneur à sa véracité. On sent une curiosité intelligente sous ses expressions tout orientales de politesse et d’admiration. Le voyageur musulman exprime vivement le besoin, honorable pour lui, de connaître la civilisation européenne qu’il ose mettre au premier rang. A ceux qu’un voyage chez les infidèles pourrait scandaliser, il répond par cette parole du prophète : « Allez chercher la science, fût-ce même en Chine. » Son livre a, comme c’est l’usage chez les Orientaux, un titre métaphorique et énigmatique. Il s’appelle Purification