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a un droit héréditaire à vivre sur le sol, là il peut être évincé.. Des exemples de demi-propriété, de possession héréditaire et révocable, se trouveraient dans notre Europe. Les bénéfices furent des concessions révocables avant de devenir des fiefs à perpétuité. Des jurisconsultes ont même avancé que, selon la loi d’Angleterre, nul sujet ne peut posséder la terre sans être assujetti à une redevance envers le souverain. Louis XIV, un peu oriental il est vrai, a écrit dans ses Mémoires, qui sont bien de lui, cette phrase, qui à elle seule suffirait pour le prouver : « Tout ce qui se trouve dans l’étendue de nos états, de quelque nature qu’il soit, nous appartient au même titre… les deniers qui sont dans notre cassette, ceux qui demeurent, entre les mains de nos trésoriers, et ceux que nous laissons dans le commerce de nos peuples. » Le droit de propriété flotte souvent incertain entre celui qui a hérité de l’appartenance de la terre et ceux qui la cultivent depuis plusieurs générations, et qui croient avoir le droit d’en garder l’usage. De là des conflits sur lesquels la législation est appelée à prononcer. Les fermiers des hautes terres d’Écosse croyaient aussi avoir le droit de vivre et de mourir sur le champ qu’ils exploitaient de père en fils depuis un temps immémorial : des expulsions en masse opérées par les grands propriétaires leur ont cruellement prouvé qu’ils se trompaient. En Irlande, où les petits fermiers pensent de même et où ce droit d’expulsion est aussi exercé avec une grande rigueur par les propriétaires contre leurs tenanciers, il est question de le restreindre et de créer pour ceux-ci une garantie de possession. En Danemark, les paysans demandent à acquérir la propriété des terres qu’ils cultivent pour les seigneurs ; aux États-Unis, on va plus loin, et les anti-renters trouvent fort ridicule qu’un fermier industrieux paie éternellement à un propriétaire oisif une redevance qui leur semble féodale. C’est une extrémité opposée à l’extrémité de l’opinion orientale sur la propriété : ici le travailleur ne possède pas réellement ; là on voudrait que lui seul possédât.

J’ai rapproché ces faits si divers pour montrer que l’idée de la propriété n’était pas partout quelque chose d’absolu, et qu’on ne doit pas juger avec nos idées une mesure qui les choque violemment, mais qui n’est point en elle-même aussi monstrueuse qu’elle le paraît. En outre, il ne faut pas oublier que la domination de Méhémet-Ali est une domination étrangère. Méhémet-Ali sait très imparfaitement l’arabe et dédaigne de le parler ; c’est un Turc qui parle turc et gouverne par les Turcs. L’antipathie religieuse des Turcs et des Arabes est peu favorable à toute possibilité de fusion. Les emplois sont remplis par la race des conquérans ; il en était déjà ainsi en Égypte sous les Grecs. Le vice-roi a essayé un moment de choisir des employés parmi les indigènes ; mais ces tentatives, dans lesquelles M. Bowring voyait un acheminement vers la régénération de la population arabe, ces tentatives n’ont point réussi.