Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/402

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attaque le sultan, bat ses troupes, menace sa capitale, s’arrête une première fois devant l’Europe, et une seconde fois est vaincu par elle.

La destruction des Mamelouks fut un assassinat, et un assassinat est toujours un crime ; mais ce crime ne prouve point que Méhémet-Ali soit singulièrement cruel. L’humanité est malheureusement étrangère aux gouvernemens orientaux. Le pacha put croire que le meurtre des mamelouks était un bienfait pour l’Égypte, et pour lui-même une nécessité. Ainsi Pierre-le-Grand extermina les strélitz, et Mahmoud les janissaires. De plus, Méhémet-Ali pouvait alléguer l’excuse de la défense personnelle. Les mamelouks avaient conjuré sa perte, et n’attendaient pour l’accomplir que de le voir s’engager dans la guerre contre les Wahabites. Au moment de partir pour cette expédition dangereuse ; il ne voulut pas laisser le Caire à ses ennemis ; il employa contre eux une terrible ruse de guerre, et les massacra dans la cour de sa forteresse comme un sauvage brûle une tribu ennemie dans son camp. On dit qu’au moment d’agir le pacha était très troublé, qu’en proie à une vive émotion, il hésitait à donner le signal. Cela peut être : Méhémet-Ali est dur, impitoyable, il n’est pas naturellement féroce ; on assure qu’il est assez bonhomme dans son intérieur, et que, lorsqu’une de ses femmes est malade, on le voit agité, éperdu, comme le plus tendre et le plus empressé des maris. Ce fait, du reste, n’était pas nouveau dans les annales de l’Égypte. En 1704, Bedr-el-Gemali fit tuer dans un festin tous les chefs turcs d’une milice indisciplinée. A une époque plus récente, le pacha Raghib-Mahomed, sur un ordre émané de Constantinople, tenta de massacrer les beys mamelouks. Enfin, après l’expédition française, le capitan-pacha eut le dessein de les exterminer par le feu de son artillerie, tandis qu’il les escortait jusqu’à la corvette anglaise qui devait les recueillir. Dans les mœurs de l’Orient, qui heureusement commencent à changer, voulait-on destituer un fonctionnaire, on l’étranglait ; dissoudre une milice, on l’égorgeait.

L’expédition contre les Wahabites, menée à fin glorieusement par Méhémet-Ali et ses deux fils, Touloun et Ibrahim, consacra ses titres à la puissance en faisant de lui le défenseur et le vengeur de la foi musulmane. On sait que les Wahabites étaient des sectaires qui semblent avoir eu le double but de réformer l’islamisme et d’affranchir l’Arabie. Ces puritains bédouins, qui proscrivaient les pèlerinages, s’interdisaient l’usage du tabac, rasaient les coupoles funèbres élevées en l’honneur des saints musulmans, sans en excepter le tombeau de Mahomet, avaient fini par s’emparer de la Mecque. Depuis plusieurs années, les pèlerins ne pouvaient plus se rendre dans la ville sainte, quand Méhémet-Ali parvint à en rouvrir le chemin à tous les musulmans du globe. C’était un immense service rendu à l’islamisme, et l’on conçoit que l’auteur de ce service ait voulu s’en payer largement. Méhémet-Ali