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du lecteur et le préparer par cette transition à l’intelligence du grand mouvement philosophique dont on vient de lui montrer les origines. C’est là, du reste, une question d’art et de méthode, qui laisse subsister tout entier le mérite des recherches de M. Vacherot. — L’histoire critique de l’école d’Alexandrie comprendra trois volumes. Les deux premiers, qui sont publiés, nous font connaître cette école, dans ses origines, dans ses monumens, dans l’esprit et la méthode qui la caractérisent, dans ses luttes contre le christianisme. Dans le troisième et dernier volume, qui doit paraître prochainement, l’auteur recueillera les traces de la philosophie alexandrine à travers la barbarie du moyen-âge et jusqu’au XVIe siècle, où l’enthousiasme de quelques érudits la ressuscite un instant. L’ouvrage se terminera par l’appréciation des mérites et des défauts de cette philosophie, des services qu’elle a rendus à la science et de ceux qu’elle peut lui rendre encore. La critique attend le complément de la publication de M. Vacherot pour la juger définitivement ; mais, dès aujourd’hui, il y faut reconnaître une étude approfondie de la philosophie ancienne et une pénétration métaphysique qui n’est pas commune de nos jours.


— La vie et les écrits d’un penseur illustre, Jordano Bruno, viennent d’être l’objet d’une étude approfondie. L’auteur de cet ouvrage[1], sur lequel nous reviendrons, M. Christian Bartholmèss, a voulu, d’une part, faire connaître la vie de Bruno en s’aidant des meilleures sources, de l’autre, donner par une analyse mêlée de nombreuses citations une idée exacte de ses bizarres écrits. Son livre est le résultat de dix années de recherches, non-seulement sur Bruno, mais sur l’époque si agitée, si féconde, au milieu de laquelle il a vécu. Il ne faut y chercher ni un panégyrique de Bruno, ni une réfutation de ses doctrines : M. Bartholmèss a compris que ce qu’il fallait avant tout, c’était donner une base solide à la critique dans l’appréciation si difficile du penseur napolitain. Cette tâche est aujourd’hui remplie grace à M. Bartholmèss, et il faut désirer que l’histoire philosophique ne se borne pas à ces premières recherches sur les anciennes écoles de l’Italie.


— S’il y a pour la pensée et la poésie des momens de langueur, c’est du moins une consolation de voir les chefs-d’œuvre des morts rendus à la lumière, à une existence nouvelle par la magie du talent. Tel est le plaisir vif et élevé que nous devons à Mlle Rachel, à la manière dont elle a composé et rendu le rôle d’Athalie. Dans ce rôle, qui n’a que trois scènes, elle soulève tous les applaudissemens et parait sous une physionomie toute nouvelle. Il y a là une création qui atteste une rare puissance. Mlle Rachel vient d’un coup de reculer les bornes de son domaine et de son répertoire. Désormais elle nous doit Agrippine et la Cléopâtre de Rodogune. Une autre curiosité dramatique, ce sont les représentations que va donner à Paris une troupe venue de Madrid. Nos jeunes auteurs pourront ainsi se familiariser avec les chefs-d’œuvre du théâtre espagnol. Il y aura là pour eux un sujet d’études intéressantes, et pour le public une source d’enseignemens élevés, de nobles émotions.


V. de Mars.
  1. Jordano Bruno, 2 vol. in-8, chez Ladrange.