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bien loin de là, le citoyen du monde, le citoyen du royaume de Dieu n’est-il pas vraiment le politique universel, par comparaison avec le citoyen d’ici-bas, sujet des princes de la terre ? » Ce ne sont là peut-être ni des modèles d’éloquence ni des leçons de bon goût ; mais quelle vivacité d’espérance dans ces classes moyennes à la veille du jour où va commencer pour tout le pays une existence publique ! quelle noble et sincère ardeur pour les idées chez ces marchands et ces artisans arrivés d’hier à saisir des principes si nouveaux pour eux ! Avons-nous bien le droit de railler ce qu’il y a peut-être de trop candide dans leur foi, de trop gauche dans leur apprentissage politique ? Et voyez seulement comme ce ferment social pénètre peu à peu les habitudes intimes de ces hommes, moins portés que nous à la sociabilité. Quand il fallut rompre les réunions de Kœnigsberg pour obéir à la loi, ce fut une explosion de regrets. « Oui, Dieu le sait, disait-on, nous venions amasser ici de la force pour toute une semaine ; on apprenait à se sentir homme ; on sentait, en écoutant ainsi converser, qu’on avait aussi une ame immortelle et qu’il lui fallait sa nourriture ; on s’instruisait à mettre en soi quelque confiance. » Au fond de toutes ces manifestations, il y a donc une éducation véritable qui se développe, un élément neuf qui s’enracine sur le sol allemand. Sait-on s’il ne faudra pas bientôt chercher et fouiller pour retrouver le vieux Philistin de la vieille Allemagne ?

Nous passerons beaucoup plus rapidement sur deux ouvrages qui ne se ressemblent guère et que nous réunissons cependant dans une même indifférence, parce qu’ils marquent pour ainsi dire les deux extrémités les plus extrêmes de la ligne politique dont nous avons attentivement étudié les parties vivantes. C’est une brochure écrite par un communiste assez peu mitigé, c’est un gros livre compilé par un absolutiste déterminé. Placer à côté l’un de l’autre M. Steinman, le rédacteur du Mephistopheles, et M. de Kamptz, l’ancien ministre d’état, cela parait au premier abord une justice fort impertinente. C’est au fond le meilleur correctif qu’on puisse leur donner à chacun. Rien n’est plus propre à fonder l’absolutisme que les théories sociales du communiste, et rien n’est mieux fait pour soulever le communisme avec tous ses désordres que les équivoques et les chicanes du jurisconsulte absolutiste.

Nous ne croyons pas beaucoup aux menaces des utopies violentes, et nous avons toujours pensé que ceux qui, en apparence, s’inclinaient le plus bas devant ce grand épouvantail du communisme n’étaient pas ceux qui en avaient le plus de peur, mais ceux qui prétendaient en tirer le meilleur parti. C’était une frayeur bonne à tourner contre les libertés raisonnables ; en Allemagne surtout, on n’y a point manqué. En Allemagne cependant, le communisme n’est rien moins qu’original et profond ; ceux qui les premiers l’ont prêché sont venus purement et simplement se mettre à l’école chez nous ; ils ont relevé de leur néant les grands hommes morts avec les sociétés secrètes, et ils ont été de l’autre côté du Rhin agiter leur défroque comme un étendard tout neuf. La plupart des publications communistes ne sont là-bas qu’une analyse ou une traduction des nôtres. Les Réformateurs contemporains, de M. Louis Reybaud, sont une mine où l’on a singulièrement puisé, parce qu’on en tirait la claire intelligence des systèmes ; on n’a rejeté que la critique, et, une fois le point de départ ainsi compris, on s’est précipité sur les pas des novateurs de ce temps-ci ; pauvres inventions, comme on sait, plus pauvres copies ! M. Steinmann annonce dans son premier