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En 1841, M. Bülow-Cummerow publia sur la Prusse et l’Allemagne un livre qui fit alors grand bruit : la Prusse, sa constitution, son administration et ses rapports avec l’Allemagne. C’était un livre anti-français, écrit, comme on le voyait trop, au milieu des émotions de 1840, plein de menaces inutiles et d’une excessive amertume. Les opinions particulières de l’auteur sur le système politique croyait convenir à la Prusse lui suggéraient naturellement une grande aversion pour notre système représentatif ; il voulait une représentation d’intérêts et non pas de personnes, assemblée par ordres et non par têtes. C’était la théorie complète et régulière de l’édifice que l’ordonnance du 3 février vient de bâtir à moitié, mais il y avait là une faveur beaucoup plus marquée pour les vieilles prérogatives, une complaisance moins étendue pour l’autorité monarchique ; c’était du libéralisme d’aristocrate, bien plus voisin par conséquent des idées anglaises que des nôtres. Cette opposition que M. Bülow soulevait contre la France et l’esprit français dans les questions d’ordre intérieur, il l’appelait, et plus vive encore, s’il était possible, dans toute la politique extérieure ; certaines pages de son livre égalaient presque les pamphlets d’Arndt en injustice et en virulence. Telle était ainsi l’aveugle préoccupation avec laquelle M. Bülow combattait sur le Rhin pour l’indépendance et le self governement de l’Allemagne, qu’il oubliait le vrai péril, toujours menaçant du côté de la Vistule. La Prusse en janvier 1847 est évidemment dictée par de tout autres inspirations, et nous croyons que ce changement mérite qu’on en parle. Les yeux se sont ouverts ; le grand ennemi qu’on appréhende, ce n’est plus la France, c’est la Russie ; le rôle que l’on souhaite à la patrie allemande, l’honneur que l’on ambitionne pour elle, ce n’est plus tant de servir d’antagoniste direct aux prétentions supposées de ses voisins de l’ouest, c’est d’arrêter l’invasion continue des influences moscovites, c’est de préserver la civilisation de l’Occident. La Prusse est convoquée la première à cette croisade, malgré les liens de parenté qui unissent les deux trônes ; il semble même, au dire de l’auteur, qu’elle doive, dans son intérêt le plus clair, en vue de sa plus grande part d’action européenne, se dégager peu à peu de l’alliance qui l’a mise trop souvent à la suite des deux autres puissances du Nord. M. Bulow regrette qu’on n’ait pas reconnu la reine Isabelle, à cette seule intention de se conformer aux vieux de l’Autriche ; il se félicite de voir le territoire prussien se hérisser de canons du côté de la Russie ; les travaux exécutés à Posen, à Thorn, à Koenigsberg, lui paraissent une garantie politique et nationale. Une forteresse élevée sur la frontière même prendra le nom du général Boyen : le nom de ce vieux soldat de l’indépendance est d’un bon augure en pareil lieu ; mais n’est-ce pas dire bien haut que la brèche est là ?

Nous ne suivrons M. Bülow ni dans le tableau de la situation religieuse, ni dans celui de l’état alimentaire et financier, ni enfin dans les renseignemens très exacts qu’il nous donne sur les ressources actuelles de l’industrie, du commerce et de la navigation. Ce sont là autant de chapitres spéciaux de son dernier livre. Nous abordons tout de suite avec lui la lettre patente du 3 février, et puisque nous avons déjà indiqué le fond de ses idées constitutionnelles, nous prenons seulement dans ses observations un second fait dont il faut aussi méditer les conséquences. Il paraîtrait probable, d’après les plaintes de M. Bulow, qu’il y aura dans les états rivalité marquée de province à province, rivalité surtout de l’est contre l’ouest. Les provinces n’ont pas toutes le même nombre de députés ; cette différence, qui