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une histoire entière qu’il faudrait faire pour donner une idée de cette immense réunion de merveilles artistiques. Le Musée de Madrid est une de ces fortunes dont une ville est jalouse ; aussi lui a-t-on consacré un palais dans le plus beau quartier, — au Prado. Une des dernières heures, je me souviens, que j’eusse devant moi à Madrid, fut remplie par une visite au Musée, et en revenant, en suivant lentement le Prado et la rue San-Geronimo, je ne pouvais m’empêcher de songer qu’un peuple qui avait un tel passé se devait à lui-même d’avoir un avenir. J’étais ainsi ramené aux questions vitales qui s’agitent dans la Péninsule, car tout se tient, et l’art ne retrouvera point son éclat en Espagne sans une transformation plus profonde, sans que le pays lui-même se soit relevé sous la féconde influence des idées modernes.

Quelques heures plus tard, je quittais Madrid ; je m’éloignais de ce centre de la vie espagnole, non sans chercher encore à me rendre compte de l’impression définitive qu’avait pu me laisser tout ce qui avait passé devant mes yeux, — mœurs, politique, littérature, beaux-arts, grandeurs anciennes, misères présentes. Malgré tout, c’est une impression qui ne peut avoir rien de vulgaire, parce qu’on peut distinguer à chaque pas en Espagne les élémens d’une fortune nouvelle, parce qu’il y a dans le caractère national d’incontestables ressources, et que ce pays a dans son sein des germes qui ne demandent qu’à s’épanouir ; mais, je l’ai dit, ce qui manque à cette société flottante et incertaine, c’est une heure de repos pour que quelque chose ait le temps de prendre racine, assez de fixité pour que le progrès moral et le progrès matériel puissent tout ensemble se développer et s’affermir, pour qu’il sorte de ce chaos une pensée supérieure qui domine les passions, les caprices des homme, et les range impérieusement sous sa loi. Il faudrait mettre un terme à cette perpétuelle mobilité qui fait de la politique un jeu de hasard et déconsidère tout le monde, les gouvernemens comme les individus. Ce n’est qu’à ce prix que la Péninsule prendra rang parmi les états modernes. Hélas ! si ces réflexions pouvaient me revenir à l’esprit lorsque j’étais tout près de quitter Madrid, tandis qu’en attendant l’heure je me promenais seul, à la porte du Soleil, entouré de cette obscure clarté de la nuit dont parle Corneille, on conviendra que le moment n’était pas si mal choisi. La voiture où j’allais monter emportait la nouvelle de deux catastrophes ministérielles survenues en deux jours sans préjudice de celles qu’on a vues depuis et de celles qui viendront encore. Triste tableau dont je détournais un instant les yeux pour saluer une dernière fois le ciel qui couvrait ma tête et où les étoiles tremblaient comme des flambeaux lointains, seul spectacle toujours glorieux en Espagne, et dont la grandeur ne trompe pas.


CH. DE MAZADE.