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le Trovador de Garcia Gutierez, et, plus récemment, l’Hombre de Mundo, cette comédie où Ventura de la Vega a mis une idée profonde, et qu’il a su rendre amusante et sérieuse en peignant un homme qui, dans sa jeunesse, s’est joué des autres, et qui, arrivé à l’âge mûr, croit voir tout le monde autour de lui le menacer de ces tromperies qu’il mit autrefois en usage. A l’heure où j’écris, le bruit d’un nouveau succès de Vega m’arrive, celui du drame de Don Fernando de Antequera, qui vient d’être joué sur la même scène. C’est à ce point de vue, que j’appelais le Principe le théâtre littéraire de Madrid, et il est surprenant qu’on n’ait pas songé à le constituer plus fortement dans des vues exclusives d’art et de poésie, en en chassant les traductions, qui s’y produisent encore trop souvent. Ce n’est pas seulement aux tentatives modernes que le Principe devrait être destiné : il devrait avoir pour premier but de faire revivre le vieux théâtre. Pourquoi ne créerait-on pas une institution littéraire nationale qui serait mise à l’abri des grands noms de Calderon, de Lope, de Moreto, de Rojas, de Tirso de Molina, une scène élevée où serment représentées avec soin les œuvres de ces illustres maîtres ? On se rejette trop aisément sur des impossibilités secondaires, sur des difficultés de détail. Tout ne devrait-il pas s’effacer devant l’intérêt de réunir dans un même foyer tant de rayons épars du génie espagnol, de les concentrer pour frapper et éblouir les contemporains ? On établit un conservatoire à Madrid pour former des chanteurs, lorsqu’il n’y a pas de musique nationale : ne vaudrait-il pas mieux fonder une école où de jeunes artistes viendraient se familiariser avec les secrets de l’ancienne poésie et se préparer par l’étude à jouer les personnages que l’inépuisable invention de quelques hommes a fait vivre d’une vie immortelle ? Il me semble que rien ne serait plus attachant que de voir se succéder sur un théâtre Garcia del Castañar, le Rico hombre de Alcala, l’Étoile de Séville, le Médecin de son honneur, et ce drame si étrange et si poétique qui met Calderon au rang des plus ardens penseurs, — la Vie est un songe. Les écrivains modernes trouveraient dans ces modèles un glorieux stimulant ; le goût du public s’élèverait, sans aucun doute, sous l’influence de cette forte et nationale poésie. Dans ces conditions, institue comme organe de la tradition littéraire, le théâtre du Principe pourrait rivaliser avec les premières scènes de l’Europe. Pour les étrangers, ce serait un attrait de plus ; on aimerait à applaudir Calderon à Madrid, comme on applaudit Corneille à Paris et Shakespeare à Londres. Une des choses les plus curieuses peut-être du Principe, ce n’est pas ce que voit le public : derrière la scène, il est un lieu très hospitalier et presque illustre à Madrid c’est un petit foyer particulier qui avoisine la loge de Julian Romea. Le salon de Romea, comme on le nomme, ne brille pas par les décorations : le plus grand ornement consiste en deux bustes, il est vrai que ce sont les bustes de Calderon et de Mayquez, le plus grand acteur qu’ait eu l’Espagne ; mais là se réunissent