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l’homme, et faisant entendre de sourds grognemens[1]. Le penchant qui porte les enfans idiots, dans nos hospices, à imiter divers cris d’animaux, comme le chant du coq, le bêlement de la brebis, le hurlement du chacal, est connu depuis long-temps ; j’ai entendu dans le dortoir de Bicêtre un enfant qui poussait de son lit les accens aigres et funèbres de la chouette. Une idiote de la Salpêtrière, âgée de onze ans, se rapprochait non-seulement de la brebis par le bêlement, mais par les formes de sa tête, par ses mœurs douces, par sa nourriture végétale, enfin par le tégument soyeux et noirâtre qui couvrait son corps d’une sorte de toison. On retrouve chez les idiots jusqu’aux raffinemens d’instinct qui caractérisent certaines classes du règne animal. Le flair est quelquefois aussi actif chez un petit nombre d’enfans dégradés que chez le jeune chien. On en voit qui, comme la pie, ont un penchant prononcé à cacher des débris de faïence, de verre et d’autres objets dérobés. L’idiot qui retourne aux instincts, aux inclinations et quelquefois aux formes de l’animal, marque d’autant mieux dans son abrutissement l’intervalle qui sépare chaque temps de la création. Par ces formations rétrospectives, la nature semble avoir en vue de mesurer, comme par des bornes milliaires, les espaces et les haltes de la route qu’elle parcourt pour arriver de l’animal à l’homme.

L’idiotisme reproduit enfin d’une manière stable les états successifs de l’homme avant la naissance ou pendant la première enfance : c’est la troisième série de ses phénomènes. L’action nerveuse, qui est chez nous comme l’élément matériel des idées, avorte ici dans son germe, et avec elle le mouvement, la sensibilité, la vie morale ; nous n’avons plus chez de tels êtres, venus à terme, que des embryons permanens de l’intelligence humaine. Les avortemens du principe de nos idées atteignent l’idiot plus ou moins bas sur l’échelle des développemens de la vie intra-utérine. Au dernier degré, nous retrouvons chez lui l’immobilité, l’insensibilité du germe au début de ses évolutions, moins un homme formé, en un mot, qu’une matière d’homme. L’idiotisme parcourt ensuite tous les temps de l’embryogénie, et en reproduit moralement les caractères. Les élémens de l’intelligence sont divisés, fractionnés chez l’idiot, comme les élémens de la vie dans le foetus ; chaque fonction tend à s’individualiser ; chaque organe attire successivement à soi un excès d’activité. Le chaos des forces, la lutte

  1. A l’autorité de Boerhaave, on peut joindre ici celle de Linnée : ce grand naturaliste fait monter jusqu’à dix le nombre des malheureux idiots trouvés de son temps dans les bois, où ils vivaient à l’état de bêtes sauvages. Il les présente même comme formant une variété de l’espèce humaine. M. le docteur Calmeil rapporte en outre, dans son dernier ouvrage sur la folie, l’histoire de plusieurs de ces êtres défigurés : l’un d’eux habitait dans une fosse avec des loups qui lui laissaient la meilleure part de leur chasse. Loup lui-même, il les suivait à quatre pattes dans toutes leurs excursions.