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idiots des maniaques, dont ils subissaient, dans l’intérieur de son service, le voisinage odieux et les emportemens. Après avoir obtenu pour eux un dortoir et quelques soins, il les réunit durant la journée aux groupes de travailleurs qui cultivaient la terre. Secondé par un infirmier intelligent, il fit même sur une douzaine d’enfans idiots quelques essais d’éducation qui modifièrent plus ou moins leur infirmité. Marchant sur les traces de M. Ferrus, M. Félix Voisin, aujourd’hui médecin en chef d’une division des aliénés de Bicêtre, proclamait dès 1830 que l’idiotie n’est point incurable à tous les degrés. M. Voisin était amené à cette conviction par la phrénologie et par l’étude pratique des maladies nerveuses : il établit parmi les idiots, ou, pour adopter son expression, parmi les êtres imparfaits, des divisions fondées sur le système de Spürzheim, qui distribue les facultés humaines en trois groupes isolés : les pouvoirs instinctifs, moraux et intellectuels. Agrandissant par ce nouveau point de vue le cadre ordinaire de l’idiotie, il admit des altérations partielles dans les instincts, dans les sentimens ou dans l’intelligence ; tel se montre idiot, c’est-à-dire incomplet, vis-à-vis du calcul ou du dessin, qui ne le serait pas vis-à-vis d’un autre ordre de connaissances. Le traitement venait se calquer sur cette idée physiologique : il consistait à choisir dans l’entendement des enfans regardés comme incurables les surfaces les moins lésées pour les mettre en rapport avec le monde extérieur et avec la société. Passant de la théorie à l’application, M. Voisin créa en 1834 un institut ortophrénique pour le redressement des caractères et des intelligences déviés. Cet établissement devait recevoir, au nombre de ses élèves, outre des idiots proprement dits, tous les enfans qui sortent de la ligne moyenne, et qui, par des excentricités quelconques, se placent au-dessus ou au-dessous des proportions ordinaires de l’humanité. Le fondateur avait été saisi de cette idée, que certains sujets, largement doués par la nature, tournent, faute de direction, leur puissance contre l’ordre général de la société, et deviennent quelquefois, sous l’empire des circonstances, des êtres dangereux. Il espérait qu’en tenant acte, dans le jeune âge, de leurs facultés et de leurs sentimens, en faisant, pour ainsi dire, le tour de ces organisations faibles ou excessives, l’éducation arriverait à les assurer contre elles-mêmes et contre les influences extérieures. Les bases morales de cet établissement furent dénoncées comme dangereuses et subversives dans un mémoire adressé à l’Académie des Sciences. L’auteur de ce mémoire, lu le 7 février 1835, était, qui le croirait ? M. Népomucène Lemercier. Esprit droit, mais ombrageux, ce poète distingué n’aimait pas à voir la médecine physiologique intervenir dans le perfectionnement de l’espèce humaine. Il craignait surtout qu’elle ne déposât dans l’éducation un levain de matérialisme. M. Voisin répondit à cette attaque imprévue ; reconnaissant toutefois que l’opinion n’était pas encore mûre pour son œuvre naissante,