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divine, comme la loi humaine, ne frappe que ceux dans lesquels elle reconnaît les traits et le caractère de l’homme ; elle ne fait pas aux autres l’honneur de les punir. On voit donc que les idées religieuses sauvaient l’idiot, mais ne le relevaient pas. Les pauvres d’esprit continuaient à passer devant la société comme des êtres sans caractère, auxquels le péché originel n’avait pas même été transmis, et qui, dans leur innocence, faisaient pitié aux hommes et à Dieu.

Le déclin des croyances devait effacer les traces de la protection que la charité chrétienne avait du moins étendue sur ces infirmes de l’intelligence ; les idiots auraient été une seconde fois délaissés, si la science ne fût venue à leur secours. La superstition est quelquefois plus humaine que le scepticisme. Quand se déchira le voile sous lequel les idées religieuses avaient enveloppé l’idiotisme, les misères physiques et morales de ce triste état reparurent dans toute leur nudité. Là où d’autres siècles avaient vu les signes d’une prédestination mystérieuse, la société moderne ne vit plus qu’un honteux abaissement. Souvent des familles poussèrent l’insensibilité jusqu’à se débarrasser d’enfans idiots en les jetant à l’entrée d’un bois ; ces enfans, abandonnés aux seules forces de l’instinct, prenaient les mœurs des bêtes errantes au milieu desquelles ils vivaient. Les annales du XVIe, du XVIIe et du XVIIIe siècle contiennent l’histoire de plusieurs de ces sauvages, qui, surpris dans une des forêts du royaume, excitaient vivement la curiosité publique. Les asiles et les hospices s’ouvraient bien, il est vraie pour les recevoir, car le christianisme avait gravé dans la conscience des peuples le respect de la vie, même sous les formes les plus incomplètes et les plus dégradées ; mais, confinés avec les plus vils animaux, les idiots piétinaient tout le jour sur une dalle immonde. On leur jetait la nourriture comme à des êtres privés de raison et de sentiment ; enterrés vivans, ils achevaient de perdre dans l’isolement et l’ennui les derniers vestiges d’entendement humain que la nature leur avait laissés. Morts avant d’être nés à l’intelligence, ils trouvaient dans la réclusion de l’hospice un avant-goût amer de la sépulture.

La médecine morale pouvait seule changer la condition de ces pauvres infirmes en les relevant de leurs ténèbres et de leur avilissement. Il fallait qu’un savant, un médecin, essayât de rétablir dans l’idiot, être incomplet, défiguré, sans nom, la ressemblance de l’homme et l’image de la Divinité. Ce savant se rencontra ; ce fat le docteur Itard.

On était au commencement du XIXe siècle : la philosophie, d’accord avec la science, renversait de toutes parts les barrières derrière lesquelles l’opinion isolait autrefois les inégalités humaines. Enfant de la révolution, dont il partageait les idées fortes et généreuses, Itard avait assisté aux grands travaux de Pinel, de l’abbé Sicard et d’Haüy. Il avait vu des infirmités cruelles, regardées long-temps comme incurables, s’effacer,