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au plus serait ensemencée chaque année, puissent vivre en donnant 500 francs de fermage. Une assertion énoncée aussi vaguement échappe à la controverse ; nous engageons seulement les colons à la vérifier rigoureusement pour éviter les mécomptes. En résumé, nous croyons que les grains, traités en bonne culture et affranchis du transport[1], reviendront à des prix inférieurs aux cours des marchés indigènes : il y aura donc bénéfice à les produire pour la consommation locale ; mais, considéré comme valeur commerciale, le blé, déjà inquiété par les silos arabes et par les greniers d’Odessa, tombera dans l’avilissement dès que les divers essais de colonisation auront multiplié les petites propriétés.

Le labeur le plus important serait celui de la cotonnière[2]. Nous avons trouvé, nous l’avouerons, des préventions à peu près générales contre la possibilité d’obtenir le précieux filament. Ce n’est pas qu’on mette en doute l’énergie du sol algérien : les principales espèces du cotonnier ont été cultivées de tout temps dans les états barbaresques, en Espagne, en Sicile, dans l’archipel grec. D’ailleurs, les faits ont parlé. Les cultures expérimentales du jardin botanique ont donné des produits de qualités diverses et généralement favorables, telle est du moins l’opinion des filateurs qui les ont traités mécaniquement. On peut voir présentement au ministère de la guerre des cotons algériens et de fort beaux tissus qui en proviennent : mais l’éternelle objection revient avec plus de force que jamais à propos de l’industrie qui devrait être le principal mobile de la colonisation. La rareté des bras, dit-on, l’élévation des salaires, ne permettent pas d’entrer en concurrence avec des pays dont le monopole repose sur des bases inattaquables. On est persuadé que le coton, exigeant une manutention multipliée, sinon difficile, ne peut donner lieu à une industrie lucrative que dans les contrées où la population est esclave de fait, ou condamnée par la misère à l’abnégation de l’esclavage. Au fond, c’est toujours le même cercle vicieux : défaut de culture parce qu’on n’a pas d’argent, défaut d’argent parce qu’on ne sait pas tirer l’industrie culturale de l’ornière. Il en est des erreurs comme des mauvaises herbes, elles se répandent sans qu’on sache comment, jusqu’au jour où une main laborieuse entreprend de les extirper. Habitué à ne pas accepter sans vérification ce qu’on appelle les idées reçues, nous avons recherché sur quels faits

  1. Le rendement de 600 hectares, moitié en foins, moitié en céréales, pèserait environ 15,000 quintaux métriques ; il en coûterait, pour le transport à un marché éloigné de cinq à six lieues, environ 2 fr. le quintal ; ce serait donc un bénéfice net de 30,000 francs que réaliserait la compagnie par le fait de la vente sur place aux prix courans du marché.
  2. Nos données à ce sujet ressortent d’une étude spéciale à laquelle nous donnerons bientôt de la publicité. Nous prions nos lecteurs de nous dispenser des développemens techniques qui seraient déplacés ici, et d’accepter provisoirement nos résultats, sauf vérification ultérieure.