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qui viendraient sans cela dégrader les épis ; cette tâche est remplie aujourd’hui par de pauvres Kabyles à qui on donne environ 1 fr. par jour. Dans un grand domaine où l’on consacrerait 300 hectares aux céréales, ce soin n’exigerait pas moins de sept à huit cents journées d’apprentis. Les marécages et les terrains incultes fournissent spontanément des plantes filamenteuses et des genêts qu’on emploie pour faire des tapis, des nattes, des paniers, des cordages et autres ouvrages dits de sparterie. Cette industrie, qui déjà s’est développée dans la province d’Oran, fournirait une occupation lucrative aux femmes et aux jeunes filles pendant les saisons où les travaux ordinaires viendraient à manquer. Ce n’est pas sans raison que nous insistons sur les exemples de ce genre : il importe beaucoup de démontrer à l’ouvrier que l’industrie algérienne le mettra à l’abri des chômages, et que les occasions de gagner le salaire quotidien pourront être offertes à tous les membres de sa famille proportionnellement à leur force et à leur aptitude.

Un grand motif d’émulation pour l’ouvrier est l’espérance de s’appartenir un jour à lui-même. On a souvent proposé d’attirer les petits cultivateurs en Algérie par l’attrait de la propriété et de l’indépendance. Si nous avons combattu les systèmes basés sur ce principe, c’est que nous avons peu de foi dans les moyens d’application. Il faut beaucoup d’argent pour transformer les pauvres en propriétaires. Qui fera les frais de la métamorphose ? L’état, comme le demande M. le maréchal Bugeaud ? Les capitalistes, comme l’espère M. le général de Lamoricière ? Mais les chambres sont dans une veine d’économie peu favorable à l’institution des camps agricoles. Quant aux quatre hectares promis dans le triangle d’Oran à chacun des ouvriers, on ne nous a pas encore fait connaître les clauses de cette concession. Dans notre plan, l’indépendance est pour l’ouvrier colonial, comme pour celui de la métropole, le couronnement d’une carrière laborieuse. L’accumulation naturelle de ses bénéfices lui fournira en peu de temps les moyens de s’établir isolément par la location ou l’achat d’un petit lot de terre : si le sentiment de la propriété est moins puissant que le souvenir du sol natal, il amassera pour retourner au pays. Le meilleur moyen pour lui de devenir propriétaire serait d’acheter avec ses épargnes des actions de la compagnie ; il multiplierait de la sorte les bénéfices du producteur par ceux du capitaliste. Pour intéresser les ouvriers à ce genre de placement, il serait bon de leur réserver des actions au pair, créées successivement par l’extension naturelle des cultures.

Sans engager les ressources de l’état, sans influencer les transactions individuelles, le gouvernement doit jouer le rôle essentiel dans cet ensemble. Il faut que son intervention morale, sa surveillance attentive, servent de garantie au capitaliste contre l’ouvrier et à l’ouvrier