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de vendre à bas prix. Le nègre de la Louisiane ou de la Géorgie fait quatre repas dont deux avec de la viande. Ce régime surabondant développe une telle puissance de travail, que les Antilles, où l’ouvrier noir est fort mal nourri, ne peuvent plus soutenir la concurrence de l’Amérique du Nord, pour les produits qui exigent beaucoup de main-d’œuvre, comme le coton. N’est-il pas évident que, si le planteur américain était obligé d’acheter au marché les rations qu’il donne aux cultivateurs, il arriverait à payer des salaires plus considérables que ceux des pays les plus riches de l’Europe ? Mais, comme le domaine est très étendu, comme il suffit d’une moitié plantée en cannes ou en cotonniers pour enrichir le propriétaire, il reste des champs, des jardins, des pâturages, où les récoltes, où la multiplication du bétail et de la volaille, où les fruits, les légumes, les neufs, le beurre, ne coûtent que quelques journées de travail ; de cette façon, la soupe au lard du déjeuner, la viande fraîche du dîner, le pudding, les gâteaux de maïs, ne représentent en réalité qu’un très faible salaire. Eh bien ! l’Algérie offre aux spéculateurs, comme l’Amérique du Nord, des terres vastes et fécondes qui ne coûtent que les frais de la mise en culture. Le pain et la viande, produits pour l’habitation et consommés sur place, y reviendraient certainement à très bas prix. Dès qu’une entreprise peut nourrir ses ouvriers parfaitement et à très bas prix, il n’y a plus à craindre qu’elle soit écrasée, par le taux des salaires. Voilà le principe : passons à l’application.

Si la compagnie offrait la nourriture à ses employés, ainsi que cela se pratique dans nos campagnes, il y aurait à craindre que le cultivateur fût mal nourri : la cupidité des actionnaires, l’infidélité des agens, un système d’économie mal entendu, donneraient lieu tôt ou tard à des contestations funestes. En second lieu, une nourriture uniforme offerte à tous les habitans de la ferme serait un mode de rémunération peu équitable ; à ce compte, les bouches inutiles seraient autant payées que les hommes sobres et laborieux. Il faut, avons-nous dit, que l’ouvrier soit aussi libre dans les provinces algériennes que dans les départemens français. Il faut qu’il puisse se nourrir, se loger, se vêtir bien ou mal, selon sa fantaisie ou sa bourse. La règle à introduire se résume dans l’offre d’un salaire quotidien représentant pour l’ouvrier le pain et la viande d’excellente qualité, les alimens secondaires, le combustible, un logement sain avec un fonds de mobilier dans les bâtimens de la ferme, plus un léger excédant pour le vêtement et les besoins divers. Pour cela, il suffit qu’une compagnie, possédant les logemens et fabriquant les denrées, les livre, sur place, à des prix proportionnés loyalement à la puissance des salaires. Il est bien entendu que l’ouvrier ne sera pas privé du bénéfice de la concurrence, et que si des marchands, attirés par un grand centre de population, viennent ouvrir boutique à côté des comptoirs de la compagnie, le consommateur restera