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bientôt ; 2° salaire éventuel, ou, si l’on veut, gratification accordée annuellement, afin que le travailleur ait un intérêt à faire de l’Afrique sa seconde patrie. Au premier coup d’œil, nous en conviendrons, un tel programme ressemble aux rêveries d’un utopiste, et cependant le mode que nous indiquons n’est pas autre chose au fond que ce qui se pratique dans les deux tiers des fermes françaises. Le propriétaire ne décompose-t-il pas en deux parts le salaire qu’il offre à l’ouvrier des champs ? Il donne, comme nous, un minimum pour l’essentiel de la vie, c’est-à-dire la nourriture et le logement ; comme nous, il y ajoute une rémunération annuelle en argent, qui est pour le pauvre le seul moyen d’épargne, la seule chance d’affranchissement. Il y a pourtant une innovation dans notre programme, et nous allons dire en quoi elle consiste. Le propriétaire européen, qui nourrit ses garçons de charrue avec les produits de sa terre, leur réserve les alimens grossiers et économise sur les rations. Nous voulons, nous, que l’homme dont la sueur coulera dans les champs africains ait les moyens de réparer amplement ses forces par une nourriture abondante et de premier choix. En Europe, le maître ou le fermier qui ajoute à l’entretien des gages en argent les réduit autant que le permet la concurrence des bras ; en Algérie, il est juste et nécessaire que le bénéfice des cultivateurs ait pour mesure le succès des entreprises. Nous allons démontrer maintenant que notre combinaison repose sur un mécanisme des plus simples, et que la réalisation en serait plus profitable encore aux capitalistes qu’aux ouvriers[1].

La valeur du salaire quotidien n’est que relative : le chiffre débattu entre le maître et son employé n’est qu’une mesure de convention, un moyen de proportionner la rémunération au service. C’est la puissance réelle du signe monétaire qu’on doit examiner. Or, pour que l’offre faite au cultivateur français le détermine à passer en Afrique, il faut qu’elle réunisse à ses yeux les avantages suivans : 1° assurance que le prix du travail, en rapport constant avec celui des denrées, suffira largement à la satisfaction des besoins essentiels ; 2° certitude que sa femme et ses enfans seront également occupés, de sorte que l’accroissement de sa famille ne soit pas, comme en Europe, un fléau pour lui ; 3° perspective d’un excédant de recette dont l’accumulation lui permettra d’acheter une petite propriété dans le pays, s’il s’y trouve bien, ou de

  1. Nous venons d’apprendre avec la plus vive satisfaction qu’une des plus grandes entreprises industrielles de l’Europe, l’exploitation des mines de zinc de la Vieille-Montagne repose sur les bases que nous indiquons. Les ouvriers ont droit à une gratification proportionnée aux services qu’ils ont rendus, et, sans prendre un intérêt direct à la vente des vivres, l’administration favorise et surveille des cantines où les ouvriers achètent leur nourriture aux conditions les plus favorables. Loin de réduire les profits du capital, cette combinaison, dont l’honneur revient à M. Charles de Brouckère, a élevé le cours des actions de 1,000 francs, taux d’émission, à plus de 6,000 francs.