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éprouvera lui-même l’embarras d’utiliser tout son monde. Nous n’épuiserons pas tous les argumens qu’il serait facile de produire pour démontrer que la petite culture, l’émiettement du sol, dont les inconvéniens sont compensés par quelques avantages dans les régions très peuplées, sont impuissans pour attirer une population laborieuse dans un désert.

Nous connaissons des personnes qui tranchent les difficultés de ce genre en disant qu’il ne faut pas se préoccuper des moyens de recruter, de retenir les ouvriers en Afrique ; que les travaux s’y régleront naturellement, comme dans la métropole, par la libre pondération de l’offre et de la demande. Ceux qui raisonnent ainsi oublient que dans le monde européen l’industrie est basée sur la préexistence d’un prolétariat surabondant ; qu’on ne se demande presque jamais si le salaire qu’une entreprise peut fournir est suffisant pour l’homme de peine, parce qu’on sait qu’on trouvera toujours des affamés, trop heureux d’accepter le peu qu’on leur offre. Mais, à cet égard, il y a une différence radicale entre une société vieillie et une colonie naissante. Nous ne connaissons que trois modes de mise en culture, quand le propriétaire n’exploite pas par lui-même : le fermage, le métayage et le salaire librement débattu. Les deux premiers moyens ne feraient que déplacer la difficulté, car, à moins d’émietter le sol en parcelles, ce qui généraliserait les inconvéniens de la petite culture, les bras manqueraient au fermier ou au métayer comme au possesseur de fonds. La culture à moitié fruit, système funeste et généralement condamné par les agronomes, parce qu’il est la négation de tout progrès, est d’une application difficile dans un pays qui n’est pas encore mis en valeur. Il y a toutefois un mode de partage praticable avec les indigènes, et dont on espère de bons résultats dans la province de Constantine. Les khammas, classe de laboureurs auxquels on fournit la subsistance et tous les élémens du travail, se contentent du cinquième des produits pour leur part de bénéfice. « Le khammas, dit M. Warnier dans une de ses remarquables études, accepterait de construire cinq maisons, à la condition que l’une d’elles deviendrait sa propriété ; il planterait cinq arbres, s’il s’était assuré de récolter les fruits de l’un d’eux ; il défricherait cinq hectares, si le cinquième devait lui appartenir ; il creuserait un canal d’irrigation, si une part de l’eau détournée par ses bras devait aussi féconder sa terre. » Souples et pacifiques, ces métayers au cinquième seront d’un grand secours pour les travaux de premier établissement ; mais on ne sait pas encore jusqu’à quel point leur coopération, en se généralisant, deviendrait lucrative. Reste enfin le salariat ou convention libre et sans contrôle entre deux individus, l’un capitaliste, l’autre vendant ses bras. La fiction sur laquelle le salariat repose, le balancement de l’offre et de la demande, ni est admissible qu’au sein d’une population nombreuse :