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suivant le mode des petites concessions, ont peu de bien-être, quoique la proximité de la ville offre des ressources aux habitans. Aussi M. le général Bedeau déclara-t-il que des essais de colonisation en tous genres peuvent être faits, « à l’exception d’un seul, celui des pauvres, qui paraît très onéreux pour l’état en raison des dépenses de première mise et de la faiblesse des résultats obtenus. » On nous répète que le sort offert aux prolétaires dans les villages algériens sera toujours préférable à leur condition habituelle. Cela peut être ; néanmoins l’assurance d’une médiocrité laborieuse n’est pas suffisante pour développer un peuple nouveau. L’émigrant apporte sur le sol étranger une ambition qu’il n’avait pas dans son pays ; son exil volontaire est un temps d’épreuve qu’il consent à subir, non pas seulement pour échapper à la pauvreté, mais pour réaliser l’espoir d’un prompt retour ou l’illusion d’une vie calme et heureuse dans sa patrie d’adoption. A mesure que ces rêves s’évanouissent, il se manifeste dans la colonie un découragement qui comprime l’essor de la population. Qu’on établisse le budget d’un petit propriétaire de 10 hectares en Algérie. Obligé de cultiver spécialement les céréales, parce que la première loi est de nourrir sa famille, parce qu’il n’a sans doute pas les avances et le talent requis pour varier les cultures, parce que les débouchés lui manqueraient peut-être, il n’obtiendra pas, par la vente de son excédant, l’argent nécessaire pour les dépenses forcées du ménage. Dans son mémoire sur la province d’Oran, M. de Martimprey établit que chaque laboureur, ensemençant 8 hectares pour nourrir la population civile et militaire du triangle, obtiendra un excédant de 20 quintaux de blé et de 20 quintaux d’orge ; nous élèverons ce dernier chiffre à 30 pour plus d’exactitude. A raison de 25 francs le quintal pour le froment et de 8 francs pour l’orge, le laboureur réalisera environ 740 fr., sur lesquels il y aura à déduire les déboursés comme outillage, fumier, charrois, etc., soit environ 440 francs. À ce compte, une famille de cinq personnes aura, avec le blé pour son pain, une somme de 600 fr. Soyons généreux ; doublons cette valeur pour le produit des autres 8 hectares de seconde qualité, et on aura 1,200 francs, applicables à toutes les dépenses d’un ménage, telles que logement, viande, boisson, vêtemens, ameublement, combustible, soins hygiéniques et médicaux. Si le triangle devait être morcelé en petits lots, de manière à exclure le travail d’ensemble, cette perspective serait-elle bien attrayante pour les colons ? On dira que la culture du blé n’occupe pas toute l’année du laboureur, et que les journées disponibles seront louées avantageusement au riche propriétaire : c’est encore une illusion. Les époques où le pauvre pourrait être appelé sur un grand domaine sont précisément celles où sa présence est absolument nécessaire sur son propre champ : quand il deviendra libre, le grand propriétaire, loin d’appeler des auxiliaires,