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africaines les instrumens principaux d’une colonisation lucrative, c’est s’abuser étrangement. Si la production de quelques denrées précieuses était organisée en Algérie, il suffirait de protéger, de surexciter cette industrie locale, d’établir un large courant d’échanges entre la colonie et la métropole, et de s’en réserver les profits au moyen des impôts, à l’exemple de ce qui a été fait dans l’Hindoustan et à Java. Mais comment organiser le monopole commercial où le commerce n’existe pas ? Nous n’avons trouvé, nous, qu’une population pauvre et belliqueuse, faisant de la sobriété son luxe principal, peu portée au travail, trop attachée à ses traditions routinières pour adopter des procédés plus féconds, trop irritable pour qu’il soit prudent de multiplier ses charges. Essayer l’exploitation directe du sol en commandant le travail aux musulmans africains, ou l’exploitation indirecte en absorbant par l’impôt le principal de leurs revenus, sont deux combinaisons aussi impraticables que déloyales. Le concours des indigènes se réduira à la coopération molle et capricieuse des mercenaires de la basse classe. Il y a, en Algérie - comme partout, des journaliers qui vivent misérablement dans leurs tribus, et qui ne refusent pas leurs bras dès qu’on fait briller une pièce d’argent à leurs yeux. On peut les employer aux manœuvres qui exigent plus de force que d’adresse, comme les défrichemens, les terrassemens, les charrois, la grosse bâtisse[1]. Nous indiquerons plus spécialement le parti qu’on en peut tirer.

Le peuplement par le partage du sol, à la manière antique, entre les citoyens pauvres, est un autre moyen sur lequel plusieurs projets ont été bâtis. Il est assez naturel de supposer que, pour peupler une contrée nouvelle, il suffit d’offrir l’appât de la propriété à des hommes qui ne possèdent rien dans leur pays. Cependant l’expérience a été rarement favorable à ce système. Il serait dérisoire d’offrir de la terre à l’ouvrier qui n’apporte que ses bras, sans y joindre un capital d’exploitation. Or, quelle que soit la libéralité du gouvernement métropolitain, il est impossible d’élever ce capital au taux nécessaire pour combler tous les frais, tous les mécomptes d’un premier établissement. Les sacrifices que l’autorité civile a faits pour établir les colons pauvres ne les a point préservés de la misère. Les derniers rapports sur la province de Constantine confirment ce que nous avaient appris les essais de la province d’Alger. Trois villages créés dans la banlieue de Philippeville,

  1. Voici l’opinion de M. Brunet, capitaine d’artillerie, qui a eu occasion d’employer les indigènes dans les travail qu’il a dirigés en Afrique : « Ces masses indigènes opéraient avec assez de désordre, travaillaient peu, et étaient trop payées. Un assez grand nombre de Marocains sont employés dans la province d’Oran. Ces hommes gagnent beaucoup, ne dépensent presque rien, et emportent l’argent dans leur pays. On doit chercher à remplacer ces étrangers par des ouvriers européens qui restent sur le sol. » Nous avons puisé des renseignemens très utiles dans le travail de M. le capitaine Brunet, qui vient d’être publié sous ce titre : La Question algérienne, 1 vol. in-8o ; chez Dumaine.