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années de la conquête, on vit se former une douzaine de sociétés qui ont fourni à M. Desjobert l’occasion d’écrire quelques pages spirituelles. Ces entreprises formées à la hâte, avant que les ressources et les désavantages du pays fussent connus, dirigées, non pas par des agronomes, mais par des spéculateurs avides qui commencèrent par s’adjuger de gros traitemens avant qu’il y eût apparence de travail, échouèrent honteusement. Ce résultat prouve seulement que l’industrie coloniale n’est pas une bonne veine pour les niais et les intrigans. Oserait-on en tirer une conclusion défavorable contre des compagnies formées, comme le faisait l’ancien gouvernement hollandais, par l’alliance des noms les plus recommandables, surveillées, dans un intérêt national, par le pouvoir et par l’opinion publique ? Répétera-t-on avec M. Moll : « Toutes les fois qu’une entreprise dépendra du choix des hommes, il faudra qu’elle échoue ? » Nous demanderons à M. Moll quelle entreprise ne dépend pas du choix des hommes, et si une métairie de dix hectares réussirait avec un chef vicieux ? Pourquoi les agens d’un domaine rural seraient-ils moins probes que ceux des ateliers ? Un village algérien demanderait une administration moins nombreuse, une comptabilité moins compliquée que la plupart des grandes manufactures. Un ordonnateur général, un comptable, un agronome chef des cultures, deux contre-maîtres, un sous-officier vétéran pour commander la milice, un prêtre maître d’école, un médecin, en tout huit personnes constitueraient un personnel en rapport avec tous les besoins d’une petite colonie de mille à douze cents ames. A une époque où l’encombrement des carrières devient un fléau pour les familles, on bénirait l’Algérie, si elle ouvrait des perspectives nouvelles à la jeunesse intelligente et laborieuse, si quelques années passées en Afrique devenaient, pour ainsi dire, le stage des élèves formés dans les fermes-modèles et les écoles industrielles.

On va renouveler une objection à laquelle s’attachent les partisans du système militaire : « Le point capital, dira-t-on, est la rapidité de l’opération. Il faut se hâter d’introduire une population compacte, afin de mettre le sol en état de défense. Quand la sécurité sera établie, on s’occupera des intérêts commerciaux. » Eh bien ! nous le déclarons avec une conviction profonde, cette manière de raisonner est directement contraire au but qu’on veut atteindre. Nous aussi, nous sentons vivement qu’il y a urgence absolue d’opposer une masse résistante à la population arabe, et de soulager la France du glorieux fardeau sous lequel elle succomberait à la longue, et c’est précisément parce que nous reconnaissons qu’il faut aller vite, que nous recherchons avec tant de sollicitude tout ce qui pourrait favoriser la spéculation. Vous voulez peupler rapidement un pays, ne vous occupez pas d’y implanter des habitans : créez dans ce pays des intérêts, et les hommes viendront