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ne peut être profitable que dans un pays où il se trouve une population industrielle pour acheter le superflu de la population rurale, ou bien lorsque l’on peut produire les vivres à des prix qui en assurent la vente aux étrangers. L’Algérie réunira peut-être un jour ces deux conditions ; dans l’état actuel, la perspective offerte aux producteurs de grains ou de viande[1] n’est pas de nature à attirer les capitaux intelligens de la métropole.

Recherchons comment une exploitation en Afrique pourra se présenter aux capitalistes avec la chance essentielle de la prospérité, c’est-à-dire l’assurance du débouché. Toute entreprise agricole, selon nous, doit y avoir pour base : 1° la production en grand d’une marchandise d’exportation d’un placement certain, eu égard au prix de revient ; 2° la production des vivres nécessaires au groupe de population créé par ladite entreprise. Nous appelons marchandises de grande exploitation le coton, la laine, le lin, la soie, le tabac, les huiles ou graines oléagineuses, les comestibles de luxe pour l’épicerie, la parfumerie, les plantes tinctoriales, les fers, les chevaux, etc., valeurs qui se traduisent immédiatement en argent, lorsqu’on les offre à un certain prix. Nous appelons denrées de consommation locale les grains, la viande, les légumes, le combustible, le fourrage pour les bestiaux, l’engrais pour les champs.

Prenons pour exemple de fabrication spéciale la culture du cotonnier, ou la production de la soie. La vente de ces produits est illimitée, lorsqu’on peut les offrir à un prix séduisant, relativement au cours ordinaire de la place. Supposons que chaque centre forme un groupe de 200 familles ; c’est pour leur consommation en objets productibles sur les lieux une vente assurée d’environ 200,000 francs[2]. Évaluons à 300,000 francs[3], prix de vente, le rendement des cultures commerciales : voilà donc un revenu d’un demi-million, garanti par deux débouchés également certains. Ce minimum de recettes certaines étant connu, et le bilan des dépenses probables étant établi avec une intelligente prévision, on obtiendra, par la comparaison des deux comptes, le chiffre du produit net. Or, si ce chiffre est assez fort pour garantir, non-seulement les bénéfices du capital, mais encore les frais exceptionnels du travail, de la défense, de l’assainissement du sol, l’entreprise

  1. On estime qu’un bœuf absorbe 20 kilogrammes de foin pour acquérir en poids un seul kilogramme de viande. Au prix de 7 francs le quintal métrique, qui est celui de l’Algérie, 20 kilogrammes de foin représentent 1 fr. 40 cent., ce qui porterait le revient d’un kilogramme de viande à un taux excessif. Quoique favorisée par la richesse de la végétation, l’élève du bétail pour la boucherie ne sera pas une source directe de profit. En général, ce genre d’industrie ne devient avantageux que lorsqu’il est très habilement combiné avec les diverses opérations d’un grand domaine.
  2. Qu’on veuille bien nous accorder ce fait, que nous développerons plus tard en parlant des ouvriers.
  3. C’est le produit brut, selon nos calculs, de 1,000 hectares consacrés au coton.