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d’une spéculation particulière. Les colons déjà engagés considéreraient comme une injustice que le monopole de cette garantie ne leur fût pas réservé. Enfin le système négatif du laisser-faire est entré trop profondément dans les instincts publics et les mœurs administratives pour qu’on accepte l’idée d’une intervention directe de l’état dans l’industrie coloniale, surtout au moment où tant de solliciteurs se présentent à l’autorité, réunissant déjà, assure-t-on, plus de 20 millions en capital, et promettant le salut de l’Algérie, pourvu qu’on les laisse tranquilles après leur avoir abandonné la terre.

Le secret de la réussite dans la politique commerciale n’est pas de chercher ce qu’il y a de mieux théoriquement, mais plutôt de s’en tenir à ce qui soulève le moins de difficultés dans la pratique. Ne nous aveuglant pas sur les préventions qui accueilleraient un projet basé sur la garantie effective du gouvernement, nous avons cherché un principe plus conforme au programme de la colonisation libre ; nous avons ramené le problème à cette formule : trouver une combinaison agricole et coloniale qui, en intéressant le commerce de la métropole au succès de la colonie, procure à la terre algérienne l’énorme capital dont elle a besoin, aux conditions ordinaires des transactions européennes.

Pour réussir dans un genre de fabrication, quel qu’il soit, la première règle à suivre est de mesurer l’étendue des débouchés dont on dispose. Quoique cette vérité soit élémentaire, elle ne paraît pas même avoir été entrevue par la plupart des théoriciens qui ont disserté sur l’exploitation de l’Algérie. On pourrait croire, d’après leurs écrits, que l’on peut multiplier les établissemens agricoles d’une manière illimitée, sans autre considération que la fertilité de la terre ; c’est une erreur qui seule suffirait pour faire avorter le meilleur projet. Coloniser l’Algérie, ce n’est pas jeter sur le sol africain des cultivateurs vivant au jour le jour de leurs récoltes comme des sauvages ; c’est organiser des fabriques de produits agricoles. Or, multiplier inconsidérément ces fabriques, récolter au hasard tout ce que la terre peut donner, ce serait une faute aussi grave que si, en France, on doublait subitement le nombre des manufactures de draps, sans s’inquiéter des débouchés et du placement des marchandises. Beaucoup de personnes se figurent que les besoins de la population urbaine et de la population militaire constituent un débouché suffisant pour l’industrie des campagnes africaines ; la plupart des systèmes ont même pour point de départ la nécessité de nourrir l’armée, afin qu’elle ne soit pas affamée en cas de guerre maritime. On oublie que les consommateurs militaires ne seront pas toujours, il faut l’espérer, au nombre de 100,000 hommes, et que les habitans des villes ne se priveront pas d’acheter les denrées offertes par les indigènes, s’ils y trouvent une économie. La fabrication des denrées alimentaires