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colonisation, c’est qu’ils ont eu les yeux ouverts sur ces difficultés. Leur secret est dévoilé dans un rapport fort instructif de Malouet sur l’établissement de Surinam : « Ce n’est point, dit-il, à des particuliers vagabonds et ignorans qu’on a confié le sort de la colonie naissante. » Des ingénieurs agricoles ont été envoyés sur les lieux aux frais du trésor public, avec ordre d’approprier à l’état de chaque localité un type d’établissement et un plan d’exploitation. « Cette instruction a été le premier don et la première loi imposée à chaque entrepreneur qui s’est présenté. Conformez-vous au plan et travaillez était la formule d’installation du concessionnaire. » Persuadés qu’il suffirait de suivre les prescriptions officielles pour que le succès commercial fût assuré, les négocians d’Amsterdam n’hésitaient pas à fournir le capital nécessaire à chaque entreprise. A leurs yeux, la clause principale du contrat était qu’on travaillât « selon les principes et la méthode ordonnées. » Souvent même le gouvernement donnait l’exemple de la confiance en faisant à des compagnies des avances qui n’étaient pour le trésor qu’un placement profitable. Située plus avantageusement peut-être que Surinam, la Guyane française avait été constituée sur un autre principe chaque colon avait eu pleine liberté de s’y caser selon ses ressources et ses lumières. Ces deux systèmes eurent pour résultat, suivant Malouet, qu’entre Surinam et Cayenne « la différence était aussi grande qu’entre une campagne de la Touraine et un campement de Hottentots : »

Une colonie ne commence à vivre que du jour où elle a trouvé le genre d’exploitation approprié à son climat et à son état économique. Il fallait la sagacité commerciale des Hollandais pour régler préalablement ces conditions d’existence par un acte de prévoyance administrative. Ordinairement, le principe vital d’une colonie n’est découvert qu’à la longue, par les tâtonnemens et les sacrifices des particuliers, après beaucoup de mécomptes et de souffrances. Tel a été le sort des colonies intertropicales. La loi d’existence pour elles était de produire certaines denrées de luxe, le sucre, le café, le cacao, en assez grande abondance et à des prix assez bas pour que ces friandises réservées pour les princes, ou administrées à petite dose comme médicamens, entrassent dans l’alimentation ordinaire des Européens. Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les Antilles françaises, rendez-vous des enfans perdus de la métropole, s’agitèrent sans pouvoir organiser la spéculation à laquelle leur existence était attachée. Les émigrans pauvres, après avoir accompli leur engagement de trois années au service d’un ancien colon qui payait leur passage, prenaient possession d’un coin de terre, et travaillaient avec tant de désordre et d’imprévoyance, que souvent ils éprouvaient les horreurs de la famine au milieu d’une nature riche et généreuse. Les hasards de la guerre firent enfin tomber dans les mains