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c’est précisément la minutieuse prévoyance, l’instinct de la spéculation. Quels sont les moyens offerts par chaque système pour atténuer les charges de la métropole, pour attirer les capitaux, pour retenir les bons ouvriers et constituer en Afrique une population digne du nom français ? Voilà les questions qu’il faut poser et que les auteurs de systèmes doivent résoudre par les calculs les plus minutieux. Tant qu’on n’a pas de documens précis sur le mode de concession, sur le régime agricole, sur les moyens de recrutement, il est impossible d’arriver à une conviction réfléchie. Si les chambres dédaignent de descendre à ces détails de pratique, elles auront peu fait pour la colonisation effective. Nous ajouterons que la prévoyance à cet égard doit être plus sévère pour le régime civil que pour le régime militaire. La chute des camps agricoles ne serait que la ruine des idées de M. le maréchal Bugeaud, tandis qu’un revers sur le terrain de la colonisation civile serait la perte de l’Algérie. Dans la métropole, quand un spéculateur se ruine, il disparaît dans la foule sans nom ; ses ouvriers cherchent leur vie ailleurs : l’abîme se referme aussitôt sur les naufragés, dont personne ne s’inquiète : les désastres d’une colonie retombent toujours à la charge du public : on ne peut pas laisser mourir sur une terre étrangère les ouvriers qu’on y a entraînés. Le plus sûr moyen de prévenir un tel malheur est de se défier des théories sans preuves ; c’est de ramener, comme nous avons essayé de le faire, le problème de la colonisation aux réalités de la pratique commerciale.


I. – LE CAPITAL.

Pour mettre en valeur une terre inculte à vingt lieues de Paris, il faudrait réunir deux conditions essentielles : un fort capital, une habileté profonde en économie agricole. Or, ceux qui possèdent ces deux excellentes choses, l’argent et la science, en trouvent trop aisément l’emploi pour se lancer dans un genre d’exploitation pénible et hasardeux. -Voilà pourquoi les défrichemens que le public réclame dans tous les pays ne s’accomplissent presque jamais. Lorsque l’opération doit être exécutée dans une contrée lointaine, les difficultés augmentent en proportion de la distance, du climat, des obstacles naturels, des ennemis à vaincre. Les gens riches et éclairés ferment leurs coffres-forts et restent chez eux. Les esprits aventureux, incapables d’établir un calcul de probabilités commerciales, se figurent que la fertilité d’une terre vierge doit compenser tous les désavantages économiques ; ivres d’illusions, ils se mettent à l’œuvre avec des moyens insuffisans, et voilà pourquoi la plupart des colonies échouent, même lorsqu’elles eussent offert à des spéculateurs habiles les conditions de succès.

Si les Hollandais ont été souvent cités comme des maîtres en fait de