Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

garder à vue le petit nombre d’Anglais qui étaient restés dans le royaume : c’étaient quelques malheureux que leurs dettes ou leur misère avaient enchaînés sur le sol portugais. Ainsi encore, il fit réparer et approvisionner les forts de la marine et couvrir la côte et les deux rives du Tage de batteries mobiles. Enfin il envoya le marquis de Marialva proposer d’unir le prince de Beira, alors âgé de neuf ans, à la fille du grand-duc de Berg. Cet ambassadeur devait, en outre, offrir à Napoléon un subside considérable. Cependant, dans le moment même où il semblait se livrer à nous, le régent prenait des mesures calculées dans la prévision d’une fuite prochaine. Il avait ordonné que ses bâtimens de guerre de toute grandeur fussent radoubés, équipés, pourvus de vivres pour plusieurs mois et aménagés de manière à recevoir à bord un grand nombre de personnes. Naturellement, on en conclut qu’ils étaient destinés, non pas à combattre les Anglais, mais à transporter au Brésil la famille royale et la cour. Le gouvernement fit appel à la générosité de ses sujets. Il leur fit un triste tableau de ses embarras, de ses dangers, de la pénurie du trésor, et il les invita à venir lui apporter leur vaisselle d’or et d’argent ; mais l’aristocratie portugaise et les riches négocians, remarquant qu’il y avait plus d’ostentation que de réalité dans les mesures défensives, soupçonnèrent la cour de ne leur demander leur argent que pour l’emporter au Brésil. Ils restèrent sourds à l’appel du prince, enfouirent leurs richesses et attendirent les événemens.

Les Anglais avaient la promesse du régent qu’il se retirerait au Brésil dès qu’il aurait perdu tout espoir de prévenir l’envahissement de son pays. Ils ne mettaient point en doute sa bonne foi, mais ils connaissaient son caractère faible et irrésolu. Ils craignirent qu’il n’eût la force ni de fuir le péril, ni de le combattre, et qu’au moment suprême il n’aimât mieux encore subir le joug de la France que de s’arracher de sa capitale. Un grave incident vint fortifier leur soupçon. L’amiral russe Siniavin avait quitté la rade de Ténédos pendant les conférences de Tilsitt, et tourné ses voiles vers l’Océan, afin de regagner la Baltique. Il venait de passer le détroit de Gibraltar, quand il apprit la conclusion de l’alliance de Tilsitt. Il avait avec lui neuf vaisseaux de ligne, deux frégates et six mille cinq cents hommes de troupes. N’osant poursuivre sa route, de peur de tomber au milieu des croisières anglaises, il alla se réfugier dans le port de Lisbonne. On en conçut à Londres beaucoup d’inquiétude. La flotte de l’amiral Siniavin était devenue, par le cours des événemens, une force entre les mains de la France. Qui pouvait calculer l’effet que sa présence dans les eaux de Lisbonne allait produire sur les déterminations du régent ? Les ministres anglais prirent leurs mesures pour toutes les éventualités. Ils envoyèrent sir Sidney Smith croiser, avec une escadre considérable, devant l’embouchure du