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son mauvais génie ; il s’est dégradé au contact de cette femme perverse et dissolue. Bientôt se développèrent en lui les plus mauvais penchans, la paresse, la cupidité, l’amour du faste, une ambition extravagante, enfin le goût et l’habitude de la débauche. La dépravation des grands a surtout cela de funeste, qu’elle démoralise tout ce qui les entoure. Les courtisans copièrent à l’envi les vices du favori. Ce fut un nouveau moyen de lui plaire et de pousser leur fortune. Le plus lâche égoïsme prit dans les cœurs la place du devoir ; on ne pensa plus qu’à soi. Tous les ressorts de la puissance publique se détendirent, et le gouvernement, à tous les degrés de la hiérarchie administrative, depuis les ministres jusqu’à ses plus infimes agens, se trouva frappé d’inertie.

La reine et le prince de la Paix, après s’être aimés long-temps, se fatiguèrent l’un de l’autre ; de mutuelles infidélités suivies de scènes orageuses mirent un terme à cette coupable union, et, d’un commun accord, ils volèrent, chacun de son côté, à de nouvelles amours. La reine, une fois lancée dans cette voie de désordres, ne s’arrêta plus. L’âge, au lieu d’éteindre chez elle ces lascives ardeurs, ne fit que les redoubler ; elle finit par aller chercher partout, par accepter de toutes mains les nombreux objets de ses préférences, et le palais des rois d’Espagne se trouva transformé en un lieu de débauches et d’orgies. Les orgies dégénéraient fréquemment en querelles violentes, et trop souvent d’étranges récits vinrent scandaliser les oreilles du peuple de Madrid. Cependant la reine conserva toujours pour Godoy un fonds d’attachement que rien ne put détruire. Il a eu de nombreux successeurs, mais pas un rival. Elle lui revenait toujours. Le favori savait se prêter à des retours de tendresse qui assuraient la durée de son crédit. Après avoir été, pendant tant d’années, l’amant public de sa souveraine, il était devenu le complaisant mystérieux de ses débauches. Chaque jour, il fallait satisfaire à des prodigalités dont il connaissait la source impure. C’était lui qui toujours la tirait d’embarras, lui qui se chargeait de déguiser au roi la véritable cause des dilapidations du trésor public. Il y a peu d’exemples dans l’histoire des derniers siècles qu’une tête couronnée et un favori aient fait un usage plus effroyable de la toute-puissance et gaspillé avec plus d’impudeur les destinées d’une grande et généreuse nation.

Le dévot Charles IV ne soupçonnait rien. Les désordres qui scandalisaient toute l’Espagne, lui seul ne les voyait point. Il admirait dans la reine une mère chaste, quelquefois sévère, mais toujours juste, et, dans l’homme qui avait déshonoré sa couche, le plus grand ministre qu’ait eu la monarchie. Lui aussi, il aimait Godoy ; il lui portait une tendresse de père, et il n’est point de faveurs qu’il ne lui ait prodiguées. On peut dire qu’il l’en accabla. D’abord il le fit duc d’Alcudia, plus tard prince de la Paix. Ce n’était point encore assez ; il l’unit par le sang à la maison