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leur enfant ? Mais résister n’était plus possible. Ce qu’ils auraient pu tenter avant la bataille d’Iéna, même, à la rigueur, après celle d’Eylau, ils ne le pouvaient plus aujourd’hui. Leurs fers étaient rivés. Il ne leur restait plus qu’à s’humilier sous la volonté du maître impérieux qui les dominait.

Le 12 août, l’ambassadeur d’Espagne à Lisbonne, le comte de Campo-A.lange et le chargé d’affaires de France, M. de Rayneval, signifièrent au régent que si, au 1er septembre 1807, il n’avait pas déclaré la guerre à l’Angleterre, renvoyé l’ambassadeur de cette puissance, rappelé de Londres son propre ambassadeur, arrêté comme ôtages tous les Anglais et confisqué toutes les marchandises de cette nation qui se trouvaient alors en Portugal, réuni enfin ses escadres aux escadres continentales, il serait considéré comme ayant renoncé à la cause du continent. « Eux, aussitôt, demanderaient leurs passeports ; ils quitteraient Lisbonne, et le Portugal serait en guerre avec la France et l’Espagne. » Les deux puissances appuyèrent par leurs armemens cette note menaçante. D’une part, un corps de trente mille hommes se rassembla en toute hâte à Bayonne, et, de l’autre, toutes les forces disponibles de l’Espagne furent dirigées sur la frontière portugaise.

Le trône de Portugal était alors occupé par un fantôme couronné. La reine Marie était folle, et, depuis l’année 1776, c’était son fils, don Jean, qui, sous le titre de régent, gouvernait à sa place. Ce prince avait toutes les vertus privées. Il était bon, humain, de mœurs austères, et il portait dans toutes ses actions les scrupules d’une conscience rigide ; mais il avait hérité de sa mère une intelligence infirme et reçu l’éducation d’un moine. Bigot et plein de préjugés, il consumait dans de minutieuses pratiques de dévotion les heures qu’il aurait dû consacrer aux affaires publiques. Il était irrésolu et défiant, en sorte qu’il manquait de lumières pour s’éclairer, de volonté pour se décider, et de confiance dans ses ministres pour suivre leurs conseils. Comme tous les hommes bornés et timides, il ressentait un invincible éloignement pour les esprits puissans, énergiques et novateurs. A plusieurs reprises, notamment en 1805 et en 1807, il avait donné des signes d’aliénation. On l’avait vu changer tout à coup les habitudes de sa vie intérieure, s’isoler de sa mère, de sa femme, de ses enfans, qu’il aimait de la plus vive tendresse, négliger toutes les affaires et s’abîmer, pendant des jours entiers, dans une rêverie profonde et solitaire. Son état fut jugé si alarmant, que ses ministres mirent un instant en question s’ils ne lui retireraient pas la régence, et s’ils ne la remettraient pas dans les mains de la princesse sa femme. Tel était l’homme sur lequel reposaient les destinées du Portugal dans une des plus terribles crises qu’ait eu à traverser la maison de Bragance.