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ne nous détestait, et Napoléon put librement poursuivre ses grandes destinées. Tels étaient ses rapports avec la cour de Madrid au moment où la bataille de Friedland et les traités de Tilsitt le rendirent l’arbitre suprême du continent.

Le moment était venu enfin de jeter le masque. Nous avions perdu du côté de l’Espagne toute sécurité, et elle était devenue un danger permanent suspendu sur nos provinces du midi. Napoléon lui prêtait les plus perfides desseins. Humble et soumise tant qu’il serait fort et redouté, sans doute elle n’attendait que le moment où il serait atteint par quelque grand désastre pour l’attaquer lâchement par derrière et lui porter le dernier coup. Pouvait-il, sans manquer à tous les devoirs de la prudence, lui permettre de suivre plus long-temps les voies tortueuses dans lesquelles s’égarait sa politique ? Non assurément, et l’inexorable fatalité de sa situation qui déjà lui avait fait entreprendre des choses si violentes, l’obligeait encore aujourd’hui à étendre sa main sur l’Espagne et à l’étreindre si fortement, qu’il lui fût à jamais impossible de s’arracher de ses bras.

Le plus pressé en ce moment était d’agir avec vigueur sur la cour de Lisbonne et de la forcer à rompre tous ses liens avec l’Angleterre. L’occasion ne pouvait être mieux choisie pour peser sur l’Espagne et la couvrir de nos armées. M. de Talleyrand écrivit, le 20 juillet, à M. de Beauharnais : « Toutes nos vues doivent se tourner vers le rétablissement de la paix maritime, et l’un des moyens les plus certains d’obliger l’Angleterre à la conclure est de lui fermer les ports du Portugal. Vous voudrez donc bien, monsieur l’ambassadeur, entretenir de ce sujet important M. le prince de la Paix. Vous l’amènerez à signer, au nom de sa cour, une convention secrète qui renfermera les stipulations suivantes

« La France et l’Espagne uniront leurs efforts pour déterminer la cour de Lisbonne à fermer ses ports à l’Angleterre au 1er septembre, s’il est possible. Dans le cas où le Portugal se refuserait à cette mesure, les ministres de France et d’Espagne se retireraient de Lisbonne, et les deux puissances déclareraient la guerre au Portugal. Une armée française de vingt mille hommes, qui sera rendue à Bayonne le 1er septembre, se réunira à l’armée espagnole et marchera contre le Portugal. »

La nouvelle demande de la France causa un grand trouble à la cour de Madrid. Elle apprit à Charles IV et à la reine que leur situation était changée, qu’une ère nouvelle s’ouvrait pour eux, et que c’en était fait de leur repos. Le régent de Portugal avait épousé une de leurs filles. On les forçait à employer contre ce prince la menace ; bientôt on exigerait leur concours pour l’expulser du trône. Jamais avait-on exigé d’un père et d’une mère qu’ils se fissent les instrumens de la ruine de