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à sa charge. « C’est un bienfait de plus, dit le prince de la Paix à M. de Vandeuil ; une véritable armée étrangère dont nous serons redevables à la générosité de l’empereur. »

Même empressement à appliquer aux ports du royaume le décret de Berlin. « Ce décret, dit le prince de la Paix à M. de Vandeuil[1], était indispensable contre un ennemi aussi peu scrupuleux que le gouvernement anglais. Il faut des mesures extraordinaires pour terminer une lutte qui ne peut plus l’être par des batailles sur mer. L’Espagne garantit à la France son loyal et énergique concours : elle est liée désormais sans retour à la cause de son puissant allié, car c’est de lui seul qu’elle attend son salut. »

Les actes étaient loin de répondre à ces protestations, et le prince de la Paix se vengeait de ses bassesses officielles en apportant une lenteur calculée dans l’envoi du contingent promis. « Au lieu de quatorze mille hommes, écrivait M. de Beauharnais, le 27 avril 1807, au prince de Talleyrand, le gouvernement espagnol nous en donnera à peine le tiers : il met dans tout cela une mollesse extrême. Il nous est lié par la force ; mais de l’affection, il n’en a pas. J’électrise en vain : il m’est impossible de me faire illusion sur les sentimens de cette cour pour nous. » Enfin cependant, à force d’être sollicitée, pressée, presque menacée par l’ambassadeur de France, le prince de la Paix porta au complet de quatorze mille hommes le contingent exigé. Neuf mille partirent d’Espagne, traversèrent la France et s’acheminèrent sur le Bas-Elbe. Les cinq mille autres, conduits par le général O’Farill, s’y rendirent, de Livourne et de Florence, par les routes du Tyrol et de la Bavière. Le corps tout entier fut placé sous le commandement du général marquis de la Romana, et fit partie de l’armée d’observation que l’empereur avait rassemblée entre l’Elbe et le Wéser.

La bataille d’Eylau soumit à de nouvelles épreuves la cour de Madrid la coalition redoubla d’efforts pour la soulever et l’entraîner. Jamais le baron de Strogonoff ne fut plus assidu auprès du prince de la Paix. Au nom de toutes les cours coalisées, il lui promit, si l’Espagne consentait à se prononcer immédiatement contre la France, la restitution de Gibraltar et une partie du territoire portugais. Il lui montra l’armée française vaincue et abîmée, l’Autriche ébranlée et prête à se déclarer, une armée anglaise sur le point de débarquer à l’embouchure du Wéser, toutes les populations de l’Allemagne ulcérées, frémissantes, et n’attendant que l’apparition des Anglais pour se lever en masse[2]. C’étaient là des offres d’une séduction presque irrésistible ; mais, heureusement pour nous, la cour de Madrid était plus lâche encore qu’elle

  1. Lettre de M. de Vandeuil à M. de Talleyrand. Madrid, 18 décembre 1806.
  2. Lettre de M. de Beauharnais à M. de Talleyrand, Madrid, 13 avril 1807.