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chocs entre la France et la Prusse. Ce n’était pas en quatre mois que l’Espagne pouvait se flatter de réorganiser ses forces militaires, et l’issue de la grande lutte qu’elle se préparait à soutenir ne dépendait pas de quelques milliers d’hommes de plus ou de moins qu’elle pourrait jeter sur nos provinces du midi. Elle était dans une condition exceptionnelle ; elle ne pouvait rien risquer ; elle ne devait jouer qu’à coup sûr. Jusqu’au moment où elle croirait pouvoir se démasquer sans danger, il fallait qu’elle enveloppât ses desseins du plus profond mystère. La bataille d’Iéna l’eût trouvée pure de toutes fautes, au moins apparentes, vis-à-vis de la France. Elle n’aurait eu à se faire pardonner ni un mot, ni un acte douteux, et Napoléon, n’ayant rien soupçonné, n’aurait point eu à punir. Le pire de tous les partis pour l’Espagne était de n’être ni alliée sincère, ni loyale ennemie, de donner dans l’ombre la main aux cours coalisées, quand elle nous croyait menacés, et puis, au bruit de nos victoires, de retomber, humble et tremblante, à nos pieds ; c’était surtout de rester désarmée, impuissante, sous le coup de nos légitimes ressentimens.

Napoléon ne pouvait demeurer un seul jour incertain sur les dispositions de cette couronne. Engagé dans une lutte opiniâtre et indéfinie avec l’Angleterre et les puissances du Nord, forcé d’avoir les yeux sans cesse ouverts sur leurs intrigues et ses armées toujours prêtes à déjouer leurs desseins, il ne pouvait pas laisser derrière lui l’Espagne, douteuse et désaffectionnée. Il fallait qu’en tous temps, en toute situation, puissant ou affaibli, victorieux ou vaincu, entraîné dans les hasards d’une entreprise lointaine ou réduit à disputer à l’Europe conjurée la barrière du Rhin ou les rochers des Alpes, il fallait qu’il pût compter sans réserve sur la fidélité de son allié. Sa position le rendait naturellement très défiant, très soupçonneux ; il devait l’être surtout à l’égard des princes d’Espagne, car ils étaient d’un sang ennemi de sa maison. Si l’audace et la haine l’avaient emporté chez eux sur toutes considérations de prudence humaine, s’ils avaient manifestement trahi sa cause un seul jour, il n’y avait pas à revenir sur leurs pas. C’en était fait ; ils étaient compromis sans retour. Leurs torts étaient de ceux pour lesquels il n’y a point de pardon. Il ne leur restait plus qu’à se jeter sur la France avec furie et à partager les destinées de l’Angleterre, de la Prusse et de la Russie. Ils suivirent une conduite tout opposée : ils crurent qu’à force de s’abaisser, ils rachèteraient leur infidélité. Ils ne firent que nous apprendre que leur faiblesse égalait leur perfidie et que vis-à-vis de tels hommes nous pouvions tout oser.

C’est à Berlin, dans le palais de son ennemi vaincu, que l’empereur reçut l’étrange proclamation du prince de la Paix. Elle lui inspira d’abord plus de surprise que de colère. Il eut peine à comprendre que l’Espagne fût assez folle pour se lever contre lui avant de savoir s’il