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à avoir des doutes. Il alla aux enquêtes, et il apprit que le favori passait une partie de ses nuits à conférer mystérieusement avec le ministre de Russie, M. de Strogonoff, et le ministre de Prusse, M. Henry. Plein d’anxiété, il alla trouver le prince de la Paix, et lui demanda des explications sur sa conduite. Le favori témoigna une grande surprise de la démarche de M. de Vandeuil, et se plaignit, avec une expression de douleur étudiée, d’être en butte aux calomnies du parti anglais ; « mais, dit-il, je me sens le courage de les mépriser. L’empereur est personnellement instruit des motifs qui m’ont fait entreprendre la réorganisation de l’armée : je ne dois la force avec laquelle je brave tous an es ennemis qu’à l’amitié et à la protection de ce grand homme. »

Tel était l’état des choses à Madrid, lorsqu’on y apprit la bataille d’Iéna et la complète destruction de l’armée prussienne. L’émotion produite par cette grande nouvelle ne saurait se décrire. La nation, espagnole fut saisie d’admiration ; elle oublia ses propres misères pour applaudir à ces nouveaux prodiges accomplis par le génie de l’empereur et l’héroïsme de ses soldats. Il en fut tout autrement à la cour. Comment peindre sa confusion, sa terreur ? Elle fut atterrée : le vertige la prit ; aussi folle dans la peur qu’elle s’était montrée étourdie dans ses armemens, elle se rejeta brusquement en arrière, contremanda toutes les levées d’hommes et de chevaux, et n’eut plus qu’une pensée, celle de se faire pardonner, à force d’humilité, de mensonges et d’adulations, un caprice d’énergie et d’indépendance. Le prince de la Paix ; accourt chez M. de Vandeuil, le visage radieux, les manières empressées, la parole abondante et chaleureuse. Il l’accable de ses félicitations ; il glorifie le vainqueur d’Iéna ; il épuise pour encenser le héros du siècle toutes les formes du langage adulateur.

Le roi eut plus de dignité. Peu de jours après l’arrivée des nouvelles de Prusse, il y eut réception à la cour : on y courut en foule. M. de Vandeuil s’était attendu à recevoir du roi des témoignes publics de sa satisfaction, et il l’avait annoncé à son gouvernement[1]. Au moment où il s’approcha de Charles IV, tous les yeux se portèrent sur ce prince : on était impatient de savoir ce qu’il allait dire au représentant de l’empereur ; mais le roi ne se sentit pas le courage de féliciter de ses succès un souverain dont il méditait, peu de jours auparavant, de trahir la cause. Il n’adressa pas une parole à M. de Vandeuil, qui se retira, surpris et presque confus, ne sachant comment accorder un accueil si froid de la part du souverain avec les protestations si chaleureuses de son premier ministre.

Il s’agissait d’expliquer la suspension soudaine des armemens naguère ordonnés avec tant de fracas. On avait montré une telle ardeur guerrière,

  1. Lettre de M. de Vandeuil à M. de Talleyrand, 2 novembre 1806.