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les trônes, et d’y substituer des princes de sa propre famille ? Charles IV et sa race pouvaient-ils espérer d’être ménagés par l’homme qui, depuis trois ans, traitait avec une dureté si impitoyable la maison de Bourbon ? La main qui avait renversé du trône de Naples Ferdinand VI était bien la même qui, deux années auparavant, avait tué le duc d’Enghien. Il y a dans la destinée des fondateurs de dynastie des lois auxquelles il leur est impossible de se soustraire. Tôt ou tard le chef de la France serait fatalement conduit à faire en Espagne ce qu’avait fait Louis XIV ; il chercherait dans l’assimilation des intérêts dynastiques la garantie de l’alliance qui unissait les deux pays et la consolidation de son propre trône. Telles étaient les tristes pensées qui assombrissaient le palais de Madrid, et qui troublaient dans leurs jouissances vulgaires Charles IV, la reine et le prince de la Paix.

Toutes ces causes réunies agirent simultanément sur le gouvernement espagnol, et lui inspirèrent une téméraire et funeste pensée : ce fut de séparer ses intérêts des nôtres et de se jeter dans les bras de nos ennemis. Quelle est l’époque précise où la cour de Madrid commença à nouer avec l’Angleterre et la Russie de secrètes intelligences ? Tout fait présumer que ce fut au mois de juin de l’année 1806, et que les premières ouvertures furent faites par le baron de Strogonoff, ministre de Russie à Madrid. Il est à remarquer qu’elles le furent dans le moment même où les cours de Londres et de Saint-Pétersbourg nous témoignaient le plus d’empressement à conclure la paix. Le Portugal était certainement dans le secret de la trame. Avant de se rendre à Madrid, M. de Strogonoff s’était arrêté quelque temps à Lisbonne, où il avait eu avec le ministre des affaires étrangères, M. d’Araujo, de longs et mystérieux entretiens qui avaient éveillé les soupçons de notre chargé d’affaires, M. de Rayneval. A peine était-il arrivé à Madrid, qu’il était entré en conférences suivies et très intimes avec le prince de la Paix.

Tandis que le favori débattait avec le ministre russe les conditions de sa défection, l’Angleterre intimidait l’Espagne par la vigueur de ses coups. Elle prenait à ses gages le fameux Miranda ; elle lui donnait des instructions et de l’or pour organiser l’insurrection de l’Amérique du Sud, et secondait ses tentatives par le concours de sa marine et de ses soldats. La nouvelle venait d’arriver à Madrid qu’une escadre anglaise avait débarqué des troupes sur la côte de Buenos-Ayres, et que cette ville importante, ainsi que toute la province dont elle est la clé, était ; sur le point de tomber dans leurs mains.

Ainsi, tout agissait à la fois sur le gouvernement espagnol, et la pesanteur de notre joug, et les dangers de la dynastie menacée par l’ambition envahissante des Bonaparte, et les cris du commerce aux abois, et les instances de la coalition, et enfin la crainte, si la lutte