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l’avait amplement dédommagée. Quelle gloire n’avait-elle pas acquise ! que de riches provinces n’avait-elle pas ajoutées à son territoire ! quelle prépondérance n’exerçait-elle pas dans tout l’Occident ! Pour l’Espagne, au contraire, nulle compensation. Quels trophées pouvait-elle opposer au deuil de Trafalgar ? quelles conquêtes l’avaient consolée de la perte de ses vaisseaux et de son commerce ? Toutes ses villes maritimes étaient oisives et ruinées, les recettes de la douane taries, les caisses du trésor vides, une partie considérable de son revenu sacrifiée à la cupidité de son alliée, enfin ses colonies livrées sans défense aux attaques des Anglais. Telle était la condition misérable où l’avait réduite l’alliance de la France. » Nos partisans avaient beau répondre qu’en battant tous nos ennemis sur le continent, c’était l’Angleterre que nous avions frappée dans ses alliés, que nous n’avions fait tant de conquêtes en Europe que pour obliger l’ennemi commun à restituer toutes les siennes, que, le but de la guerre étant de faire consacrer l’égalité des droits ainsi que l’indépendance de tous les pavillons, nos succès devaient profiter un jour à l’Espagne comme à nous-mêmes, que ce n’était donc pas le cas pour elle de se décourager, mais bien au contraire de redoubler de confiance dans notre politique et d’énergie dans ses efforts : ce langage ne produisait plus d’impression. Des avantages qui ne se présentaient que dans une perspective éloignée, qu’il fallait acheter par de nouveaux sacrifices, subordonnés d’ailleurs à des chances très incertaines, ne parvenaient plus à convaincre des esprits ulcérés et profondément découragés. À ces griefs généraux venaient se joindre les anxiétés de la famille royale.

Napoléon ne se contentait plus d’humilier les armes de ses ennemis et de les affaiblir ; ses coups portaient plus haut : ils allaient frapper sur leurs trônes les souverains eux-mêmes. Déjà la maison de Naples était tombée pour avoir osé braver sa puissance, et c’était un Bonaparte qui l’avait remplacée. Ferdinand VI était frère de Charles IV. Il n’est point vrai que le roi et la reine d’Espagne aient osé refuser de reconnaître le successeur de Ferdinand ni l’un ni l’autre n’étaient à la hauteur d’un tel courage ; mais ils virent dans la catastrophe de leur frère un sinistre présage du sort réservé à leur branche, et ils en ressentirent une terreur secrète. Dans le même moment où Napoléon transportait sur la tête de Joseph la couronne de Naples, il établissait un autre de ses frères sur le trône des stathouders ; il élevait son beau-frère Murat à la dignité de grand-duc de Berg ; il fondait en Italie des souverainetés pour ses sœurs Pauline et Éliza. Où s’arrêterait cette propagande dynastique, qui avait succédé à la propagande révolutionnaire ? Tous ces attentats successifs aux droits inaliénables des familles souveraines n’indiquaient-ils point de la part de l’empereur un dessein arrêté de renouveler, dans sa sphère d’influence et d’action, le personnel de tous