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ce royaume. On évaluait à plus de cent cinquante mille balles la masse des cotons bruts qui entraient chaque année dans le Tage ; une certaine quantité, trompant la vigilance de nos douaniers, allait alimenter nos manufactures du Midi.

Un tel état de choses était incompatible avec les dispositions prohibitives que la France et la Russie étaient convenues d’appliquer à tous les ports du continent. Il importait absolument au succès de ces grandes mesures que le Portugal se soumît à la loi commune. Il ne s’agissait de rien moins que d’enlever aux Anglais un marché de quatorze millions d’ames, marché dont ils avaient le monopole depuis plus de cent ans, et qu’ils exploitaient avec une ardeur et une habileté sans exemple.

Mais comment agir sur la cour de Lisbonne ? comment l’arracher des bras de cette puissance, avec laquelle tous ses intérêts étaient aussi étroitement entrelacés ? L’Angleterre n’avait pas seulement dans ses mains presque toute la fortune mobilière du Portugal ; elle disposait, pour la retenir sous sa dépendance, de moyens formidables ; elle avait ses flottes et ses armées. La France était dans des conditions bien différentes. Entre elle et le Portugal, il y a un grand royaume. Pour atteindre le Portugal, pour l’obliger à séparer ses intérêts de ceux de l’Angleterre, il lui fallait absolument le bras de l’Espagne. Ainsi la question était double : la politique portugaise se compliquait de la politique espagnole. Avant d agir sur la cour de Lisbonne, il fallait s’assurer le concours de celle de Madrid.

La politique espagnole avait passé depuis quelques années par des vicissitudes cruelles. Incessamment sollicitée ou menacée par les deux grandes puissances qui, depuis quinze années, se disputaient la suprématie dans les affaires du monde, l’Espagne n’avait pas eu la liberté de se choisir un drapeau. Son intérêt le plus évident eût été de rester neutre au milieu de ce sanglant conflit. Elle aurait trouvé dans la neutralité tout ce qu’elle pouvait désirer, sécurité pour ses colonies, pour sa marine, pour son commerce, et des profits incalculables ; mais les Anglais lui avaient rendu la neutralité impossible. La violence avec laquelle, une première fois après la paix de Bâle, une seconde après la rupture du traité d’Amiens, ils avaient outragé son pavillon, lui avait appris qu’ils aimaient mieux l’avoir pour ennemie que de la laisser s’enrichir à l’ombre d’une fructueuse neutralité. En dépit de ses penchans secrets, qui l’attiraient vers l’Angleterre, elle se vit donc précipitée, par les violences mêmes de cette puissance, dans les bras de la France. Du reste, au point d’abaissement où l’avaient fait descendre l’inquisition, les moines, une dynastie dégénérée et un favori incapable, l’Espagne n’était plus en état de se mesurer avec la France. Dans une guerre avec l’Angleterre, elle n’exposait que ses vaisseaux, son commerce et quelques-unes de ses colonies. Dans une guerre avec son puissant