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la nécessité. Si l’homme n’est ni bon, ni méchant, le christianisme n’est plus qu’un système arbitraire, dont certaines parties pourront être estimées grandes et belles, mais dont le fond même sera toujours taxé d’une exagération mensongère. C’est quand on est convaincu que l’humanité apporte sur cette terre une corruption naturelle, triste effet de la chute du premier homme, et que, suivant la parole de saint Paul, nous sommes morts en Adam, qu’on est en droit de penser et de soutenir que la religion chrétienne est de nécessité divine. Pourquoi faut-il que nous soyons obligé de rappeler ces notions élémentaires à un aussi bon chrétien que M. de Balzac ? Lorsque l’auteur du Médecin de Campagne et de Louis Lambert aborde le champ des idées générales et des abstractions métaphysiques, ses allures ambitieuses, les contradictions innombrables dans lesquelles il tombe, peuvent d’abord faire sourire le lecteur, mais elles ne tardent pas à le fatiguer en l’affligeant. Il est toujours triste de voir un homme d’esprit et de talent se tromper sur lui-même, sur les dons que la nature lui a faits et sur ce qu’on attend de lui. Par quelle illusion bizarre M. de Balzac, cet observateur si malin et si clairvoyant des travers d’autrui, est-il sa propre dupe et a-t-il la candeur de croire à son génie philosophique ?

On ne s’étonnera pas qu’avec cette manie d’universalité, l’auteur des Scènes de la vie parisienne ait mis la politique au nombre de ses préoccupations. Il n’aime pas le régime représentatif, et il se dit de l’école de Bossuet. Il estime que tout irait mieux, si l’on pouvait réduire les assemblées à la question de l’impôt et à l’enregistrement des lois, dont on leur enlèverait la confection directe. M. de Balzac n’est pas conservateur, mais absolutiste. Ce qu’il admire le plus dans Napoléon, ce n’est ni son génie militaire, ni la création du code civil, mais le système électoral qui a produit, comme on sait, les muets du corps législatif. Napoléon, au dire de M. de Balzac, avait merveilleusement adapté l’élection au génie de notre pays, et son système est incontestablement le meilleur. Quel dommage que M. de Balzac ne soit pas à la chambre pour en proposer le rétablissement ! Il trancherait d’un coup toutes les difficultés qui divisent les hommes et les partis politiques de notre temps sur la réforme électorale.

Nul n’est moins disposé que nous à mettre d’injustes entraves à l’essor du talent. D’éclatans succès dans un genre ne doivent pas être opposés à celui qui les a obtenus comme une fin de non-recevoir dont on s’armera pour lui fermer l’accès d’une autre carrière ; seulement, pour être reconnue légitime, il faut que l’audace soit heureuse. Les naufrages, quelque fracas qui les accompagne, sont un mauvais moyen d’occuper la renommée. Quand nous avons vu M. de Balzac, se tournant vers le théâtre, aspirer aux triomphes de la scène, cette tentative