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rebutantes nomenclatures de faits appelées histoires, on ne s’aperçoit pas que les écrivains ont oublié, dans tous les temps, en Égypte, en Perse, en Grèce, à Rome, de nous donner l’histoire des mœurs. Quoi ! on ne trouve pas l’histoire des mœurs dans Hérodote, dans Thucydide, dans Diodore de Sicile ! Il est vrai que ni en Grèce ni en Italie les jeunes gens et les femmes n’avaient entre les mains de livres intitulés Scènes de la vie athénienne ou romaine : c’était la grave histoire qui racontait d’une manière concise et durable les traditions, les coutumes et les mœurs des sociétés. Il y a telle page de Tacite qui, mieux que toute la diffusion du style moderne, nous livre le génie et les secrets de cette Rome dont la corruption ne fut pas moins monstrueuse que la gloire. Il est triste de trouver cette méconnaissance de l’histoire chez un écrivain qui s’est fait un nom dans le roman. Avec un sentiment plus élevé et plus vrai des conditions et des exigences de l’art, M. de Balzac eût vu, avec une sorte d’effroi, combien il est souvent difficile à la fiction d’atteindre les grands effets de l’histoire. Loin de là ; il nous dit avec une imperturbable confiance : J’ai mieux fait que l’historien, je suis plus libre. Eh ! c’est cette liberté même qui égarera le romancier, s’il n’est pas doué du tact le plus heureux pour ne jamais sortir de la vraisemblance dans les tableaux qu’il trace de la nature et de la destinée humaine. Autrement cette liberté tourne à sa perte et l’usage qu’il en fait rebute le lecteur, qui l’abandonne pour retourner à l’histoire, cette mémoire inépuisable de l’humanité.

Le magnétisme animal auquel il s’est initié depuis 1820 et les sciences occultes dont récemment encore il déplorait la disparition, voilà l’objet des prédilections intellectuelles de M. de Balzac. Il a emprunté à certains mystiques une espèce de doctrine que nous appellerions volontiers avec Diderot, parlant de quelques théosophes, un système de platonico-pythagorico-peripatetico-paracelsico-christianisme. M. de Balzac nous avertit avec solennité qu’il faut chercher dans Seraphita sa véritable pensée sur l’homme et sur le monde. Or, dans Seraphita que nous offre-t-il ? Une biographie de Swedenborg et une sorte d’extrait de plusieurs des traités du Voyant d’Upsal. Nous y retrouvons ses théories sur les trois amours, l’amour de soi, l’amour du monde, l’amour du ciel les trois degrés par lesquels l’homme parvient à ce ciel qui est sa patrie le naturel, le spirituel et le divin ; enfin la différence fondamentale entre l’exister et la vie. Seraphita est en pleine possession de la doctrine de l’amour, et elle a hâte de traverser la mort pour entrer dans la vie céleste. Quand elle eut exhalé son ame dans un dernier élan de prière, Wilfrid et Minna, qui l’avaient chérie et vénérée comme un être privilégié, eurent à leur tour une visions Ils virent l’esprit de Seraphita frappant à la porte sainte et transfiguré en séraphin. Ils entendirent