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endroits de ses romans plus de vraisemblance et d’intérêt. Ce procédé convenait d’ailleurs à sa manière, qui est de compliquer et d’enrichir le plus possible les accessoires du tableau. On peut l’employer, pourvu que ces moyens d’effet n’aillent pas contre l’effet même par la lourdeur ou la diffusion. M. de Balzac tombe plus d’une fois dans cet inconvénient. Ainsi, dans le Contrat de mariage, après avoir avec bonheur placé en présence l’un de l’autre deux notaires, le bon M. Mathias, respectable débris de ces incorruptibles dépositaires des secrets et de la fortune des familles, et maître Solonet, l’un de ces brillans hommes d’affaires qui ont voiture et font des spéculations avec les capitaux de leurs cliens, le romancier entre dans tant de détails, il insiste si fort sur les droits des parties contractantes, sur les comptes de succession et de tutelle, sur la constitution d’un majorat, que cette scène, d’abord vive et bien menée, finit par devenir obscure et fatigante. Au milieu des infortunes de César Birotteau, au moment où l’infortuné parfumeur dépose son bilan, M. de Balzac impose au lecteur une dissertation sur la faillite, ce beau drame commercial qui a trois actes distincts : l’acte de l’agent, l’acte des syndics, l’acte du concordat, et sous ces trois chefs il nous donne ses commentaires. M. de Balzac sait trop le droit pour un romancier, et dans plusieurs occasions il nous a fait penser à Chicaneau racontant son procès :

… Je produis, je fournis
De dits, de contredits, enquêtes, compulsoires,
Rapports d’experts, transports, trois interlocutoires,
Griefs et faits nouveaux, baux et procès-verbaux.
J’obtiens lettres royaux et je m’inscris en faux.
Quatorze appointemens, trente exploits, six instances,
Six vingts productions, vingt arrêts de défenses,
Arrêt enfin…

M. de Balzac met de l’amour-propre à nous montrer qu’il sait les affaires et la jurisprudence ; il nous égare tantôt dans les détours de la procédure, tantôt dans les secrets de la police : il ne nous fait grace de rien. Au reste, cette intempérance n’est pas toujours volontaire. La force manque trop souvent à M. de Balzac pour se ramener lui-même à de justes proportions et s’y tenir. C’est ce qui nous conduit à apprécier son style.

Sans un travail assidu, sans une réflexion profonde, il n’y a pas de style, puisque le style est dans son essence un choix judicieux entre toutes les pensées de l’écrivain, qui, fécondé par la méditation, discerne la meilleure manière de les rendre. Cette double élaboration du fond et de la forme est plus ou moins longue, suivant la nature des esprits.