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les assauts que lui livre la volonté, qui s’acharne sans vaincre, et l’ivraie domine.

La restauration touchait à son terme, quand, après plus de dix ans d’essais inaperçus, M. de Balzac parvint à attirer enfin sur lui l’attention en peignant la Bretagne dans les derniers momens de la lutte des chouans avec la république, et en médisant du mariage. M. de Balzac flottait alors entre Walter Scott et Rabelais ; s’il avait réussi à convaincre des lecteurs déjà nombreux qu’il avait du talent, il cherchait encore sa voie, lorsque la révolution de 1830 éclata. En voyant disparaître comme par un tragique enchantement la société de la restauration, avec laquelle il avait compté vivre, et dont il avait espéré conquérir les suffrages, M. de Balzac éprouva un désappointement qu’il tourna bientôt en inspiration. Un changement de scène si subit et si complet ; l’avènement de nouveaux acteurs dans tous les emplois, dans toutes les situations ; le déchaînement de convoitises exaspérées par une longue attente et maîtresses enfin de leur proie ; l’explosion de toutes les passions, de toutes les théories, de toutes les erreurs ; ce mélange confus d’enthousiasme et de cynisme ayant dans les esprits et dans les mœurs de sinistres ou piquans reflets, tout cela parut à M. de Balzac comme une provocation ardente à peindre ces métamorphoses imprévues. Il accepta avec vivacité, avec amertume les sujets nouveaux que venait lui offrir une révolution. La mine était riche ; mais voici l’écueil. Le romancier n’eut pas l’esprit assez supérieur, assez ferme pour contenir son ironie dans les limites de l’équité, et il la laissa déchoir jusqu’à un pessimisme sans restrictions. La société française, telle qu’elle apparut, à M. de Balzac après le changement politique de 1830, ne fut plus qu’une assez mauvaise compagnie où la probité chez les hommes était fort chancelante, et la vertu des femmes très problématique. « Nous, véritables sectateurs du dieu Méphistophélès, s’écrie en 1831 un des personnages de M. de Balzac, avons entrepris de badigeonner l’esprit public, de rhabiller les acteurs, de clouer de nouvelles planches à la baraque gouvernementale, de médicamenter les doctrinaires, de recuire les vieux républicains, de rechampir les bonapartistes et de ravitailler les centres, pourvu qu’il nous soit permis de rire in petto des rois, et des peuples ; de ne pas être le soir de notre opinion du matin, et de passer une joyeuse vie à la Panurge ou more orientali, couchés sur de moelleux coussins[1]. » Voilà dès le début à quels excès s’emportait la verve du romancier, et ces excès devaient encore être dépassés. Quelques années après, il faisait de la vie littéraire une peinture désespérée, hideuse : il représentait la réputation comme une prostituée, tantôt sous

  1. La Peau de chagrin, 1831.