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le respect qui ne sont dus qu’à la vérité. Ainsi, à côté de la vertu chrétienne s’installa l’hypocrisie. Ses prospérités furent admirables. Quand le vice marchait à visage découvert, il courait souvent d’assez sérieux dangers ; sous le masque de la dévotion, il se trouva honoré, heureux, triomphant. Devant lui se déroulèrent des perspectives nouvelles, et il put assurer son empire par des transformations infinies. Nous pouvons en croire un témoin immortel ; Molière, en 1665, faisait dire à don Juan : L’hypocrisie est un vice à la mode. Il y avait encore alors une autre chose qui était fort à la mode et qui dominait les mœurs : c’était la religion, dont l’esprit de mensonge empruntait les traits et imitait le langage avec une désespérante habileté. Il n’a pas été permis au christianisme d’initier l’homme à une plus profonde connaissance du bien moral, sans lui livrer en même temps les moyens de rendre plus dangereux les artifices du mal et de l’imposture. Ce n’est pas là une des moins tristes preuves de l’inépuisable malignité de la nature humaine.

L’estime et la faveur qui s’attachent aujourd’hui aux croyances religieuses ne sont pas l’unique cause qui, après la licence du XVIIIe siècle, a rétabli parmi nous l’autorité de l’hypocrisie. Il y a d’autres raisons, qui la font fleurir. Nous vivons sous l’œil d’une publicité babillarde, et ceux qui ont à craindre ses récits indiscrets lui opposent la dissimulation comme un bouclier. D’un autre côté, dans un régime électif où chacun a besoin de la voix de son voisin pour être quelque chose, adjoint du maire, on conseiller municipal, ne faut-il pas se parer de vertus indispensables ? Comment s’étonner que la bienfaisance, la philanthropie, la politique et l’esprit de parti aient leurs hypocrites ? On se tromperait néanmoins si l’on voulait faire de l’hypocrisie comme la note dominante des mœurs contemporaines, dont le caractère est précisément de ne pouvoir être caractérisées par un seul fait, par un seul mot. Notre époque assemble tous les contraires ; elle les pondère les uns par les autres. Non-seulement, à côté de l’hypocrisie, voici la licence et l’audace, mais le bien sert aussi de notable contre-poids au mal. S’il y a de viles convoitises, il y a de nobles dévouemens au bonheur, à l’éducation des masses ; à l’indifférence, à l’égoïsme, on peut opposer de vives aspirations vers ce qui est vrai, vers ce qui est beau. Seulement la grandeur de notre époque est complexe, elle se dissémine, et, à force de s’étendre, elle s’efface. Peu de croyances communes, beaucoup d’efforts isolés. L’industrie, la politique, la religion, la littérature, forment autant de mondes séparés entre lesquels on cherche en vain un point central. Entre les tendances et les prétentions contraires, les forces se balancent : nulle part on ne sent cet ascendant supérieur qui fixe la victoire et imprime l’unité.

Nous trouvons les preuves et les effets de cette indécision chez les femmes et dans la jeunesse. Pourquoi les femmes au XVIIe siècle exercèrent-elles