Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une manière si impérieuse et si hautaine. Les plus belles pages des Girondins sont des pages de récits et de descriptions. La plupart du temps, les narrations de M. de Lamartine ont un rare prestige : on dirait un torrent qui vous entraîne. Cependant l’historien doit juger les choses et les hommes après les avoir produits sur la scène. Là se fait trop sentir la faiblesse de M. de Lamartine ; il n’a pas l’impassible courage de l’histoire. Parfois il absout ce qu’il devrait condamner, le plus souvent il hésite, et nous lui appliquerions volontiers ce mot, qu’il a écrit pour caractériser Vergniaud : Sa parole flottait comme son ame. En effet, au milieu des plus grandes hardiesses de M. de Lamartine, on sent l’indécision : il n’écrit pas l’histoire avec la résolution réfléchie d’une conviction profonde ; il l’improvise avec une chaleur de tête qui tombe quand la page est écrite. En revanche, voici un écrivain dont les jugemens erronés sont le triste fruit d’une sorte d’incubation solitaire, et qui, sans rien connaître de la politique et de la vie, nous donne pour des pages d’histoire les élancemens d’une sorte de mysticisme révolutionnaire qui s’égare jusqu’au délire. Quand on a vu M. Michelet aborder l’histoire de la révolution avec les dispositions morales qui lui avaient inspiré les deux pamphlets du Peuple et du Prêtre, il était facile de prévoir dans quelles aberrations il tomberait. Nous reconnaîtrons volontiers qu’au milieu de ces divagations tantôt lyriques, tantôt élégiaques, il y a un talent réel, intime, pénétrant. Dans la même page, l’ame est émue, et le bon sens est offensé. Il y a une autre histoire de la révolution, écrite au point de vue radical : c’est celle de M. Louis Blanc. Nous ne pouvons savoir encore comment ce jeune écrivain apprécie ce grand fait historique, car le seul volume qui ait paru est consacré tout entier à des prolégomènes qui remontent à Jean Huss et finissent à Turgot. Ce n’est pas ici le moment de peser la valeur du dogmatisme de M. Louis Blanc, qui commence par affirmer que trois grands principes se partagent le monde et l’histoire : l’autorité, l’individualisme, la fraternité. Nous n’avons voulu que signaler en passant des publications qui appartiennent tout-à-fait au mouvement politique de notre époque. Beaucoup de personnes n’ont pas vu sans inquiétude ce nouveau débordement de tous les souvenirs révolutionnaires. Elles craignent que l’histoire ainsi faite ne soit pour les esprits faibles, pour des imaginations faciles à égarer, une mauvaise nourriture. Ces appréhensions ne sont pas sans fondement ; toutefois il faut avoir plus de confiance dans la rectitude du bon sens public. L’histoire écrite au point de vue révolutionnaire passera comme a passé le roman-feuilleton ; il ne restera de tous ces travaux improvisés que ce qui mérite de vivre par la vérité du fond et l’éclat de la forme. Le roman-feuilleton qui s’était fait socialiste est déjà mort, et, quant aux doctrines en elles-mêmes, voici M. de Lamennais qui les répudie avec une indignation qu’il a voulu rendre publique. Jamais, à son avis, idées plus désastreusement fausses et plus dégradantes ne sont entrées dans l’esprit humain. Une réprobation aussi hautement manifestée est de la part de M. de Lamennais une action qui l’honore et qui peut ramener à résipiscence les esprits de bonne foi. Pour le roman-feuilleton historique, il ne brille plus que d’un éclat assez sombre et souvent interrompu au bas des journaux, et il a cherché un asile sur les planches d’un théâtre nouveau, le Théâtre-Historique. Ç’a été une idée malheureuse que de provoquer par l’ouverture d’une scène nouvelle la triste fécondité des dramaturges qui croient avoir construit une pièce viable quand ils ont découpé les chapitres d’un roman.