Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en rien la liberté de la reine, mais ils entendent garder le pouvoir, qui leur appartient constitutionnellement, puisqu’ils ont la majorité. L’avènement aux affaires des hommes les plus considérables du parti modéré est toujours probable ; toutefois il faut reconnaître que le ministère actuel, s’il n’a pas, comme nous l’avons dit, toute la force désirable, n’a pas compromis la situation. Quant à la reine, elle n’est pas progressiste, et ce ne sont pas d’ailleurs les idées politiques qui la préoccupent. Elle ne songe pas à retirer sa confiance aux modérés, et ce sont toujours les hommes les plus éminens de ce parti qui ont le plus de crédit auprès d’elle. La situation de la reine Isabelle est difficile, et nous concevons la sollicitude que cette situation inspire à sa mère, la reine Marie-Christine, dont les conseils n’ont plus été suivis avec la docilité et la reconnaissance d’autrefois. La reine Isabelle est dans tout l’enivrement de la jeunesse et du pouvoir, et elle ne vit pas comme une autre souveraine, la reine Victoria, au milieu d’une société officiellement rigoriste et sévère. En Espagne, l’imagination est plus ardente, et la vie plus ouverte.

Puisque notre pensée vient de se reporter sur la société anglaise, nous dirons un mot du jugement des salons de Londres sur le dernier roman de M. Disraëli. Tancred a été peu goûté, et, qui pis est, il a été déclaré ennuyeux. Cette fois, l’ardent adversaire de sir Robert Peel n’a pas réussi dans ses efforts pour prendre place parmi les romanciers dont on s’occupe en Europe. Le mauvais succès de Tancred a été d’autant plus remarqué, qu’il y a en ce moment à Londres interruption complète de la vie parlementaire et du mouvement politique. Les chambres et le cabinet se reposent. On dirait que le ministère n’a d’autre plan que de n’en pas avoir ; il s’attache à ne blesser personne et à éviter toute question jusqu’au moment des élections générales. Aussi, au milieu de cette apathie universelle, on est plus friand de détails frivoles, piquans ou scandaleux. Les affaires d’Espagne défraient les conversations : on s’amuse des intrigues de M. Bulwer, qui aurait caché chez lui le général Serrano. Tout ce qui se dit à Londres sur l’intérieur du palais de la reine Isabelle remplit de joie les partisans du comte de Montemolin, qui voient dans un avenir peu éloigné le succès de la contre-révolution qu’ils méditent, et pour laquelle ils espèrent le concours actif de lord Palmerston. L’Espagne est un pays où tout paraît possible, et la politique y prend les allures du roman.

Au surplus, où ne pénètre pas la politique ? où ne descend-elle pas ? où ne trouve-t-on pas la trace de son passage, de son empire ? En Allemagne, elle a la puissance de tarir en grande partie la vie littéraire et scientifique, qui fut si long-temps l’orgueil et la gloire de nos voisins d’outre-Rhin. En France, elle envahit les lettres, qui souvent ne sont plus qu’un instrument pour servir des passions de parti ; elle dégrade le génie et l’impartialité de l’histoire. En ce moment, l’histoire est devenue comme un vaste pamphlet où l’écrivain s’arroge le pouvoir de mettre à la place des faits sa fantaisie ou un système, et il arrive que plus son talent a de vigueur, plus ses peintures ont un faux et dangereux éclat. Quand on a lu les Girondins, on a de la puissance et de la verve de M. de Lamartine une bien grande idée ; mais on se demande ce que devient l’histoire ainsi ballottée du dithyrambe au tableau de genre. Cette improvisation ardente de l’illustre écrivain vous fait passer par les impressions les plus diverses ; tantôt on a pour lui une vive admiration, tantôt on sent une sorte de colère à voir la vérité défiguré